Voyage en ascenseur de Sophie Forte
Revers lifté
C’est la panne qu’on redoute tous : être bloqué dans un ascenseur, avec, de surcroît, un inconnu. Sophie Forte, qui sait ce que l’art comique veut dire (c’est-à-dire aller au-delà du simple divertissement), amplifie la difficulté : dans sa nouvelle pièce, les deux personnages immobilisés sont une bourgeoise blanche et un prolétaire noir. Ce n’est pas vraiment leur couleur de leur peau qui les oppose, ce sont deux personnes bienveillantes. C’est leur différence sociale qui les tient à distance. Elle, c’est la femme du patron et elle se fait bêtement prendre au piège de l’Ascension (il n’y a plus personne dans l’entreprise où elle est venue voir son mari ; celui-ci n’y est pas et aucun technicien ne viendra réparer l’ascenseur avant deux jours ). Revers lifté pour les deux occupants de la cabine ! Lui nettoie les bureaux, humble parmi les humbles ; il n’a a aucun pouvoir mais il sait que le patron drague sa secrétaire, c’est quand même un atout pour accabler la pauvre femme ou pour se montrer au contraire compatissant. La femme supporte mal l’enfermement, s’énerve, se met en colère. Lui est plus patient, plus compréhensif. Ces deux êtres que tout séparait vont éprouver l’un pour l’autre une véritable amitié.
La situation évoque de loin, de très loin, Le Métro fantôme de LeRoy Jones, pièce historique de la révolte de l’intelligentsia noire américaine des années 60. Mais Sophie Forte évite le contexte véritablement politique, comme elle évacue l’arrière-plan fantasmatique. Elle centre cette rencontre autour des thèmes de la solitude et de la fraternité. Elle conte cet instant avec une juste sensibilité, sans moralisme, sans démagogie.
Nous avions rendu compte de la création de ce spectacle, l’été dernier, au festival off d’Avignon. Il a changé car l’un des comédiens a quitté la distibution. Désormais Jean-Erns Marie-Louise incarne l’homme de ménage : il est tout à fait exact et touchant, sachant être à la fois cet homme que le travail et la société condamment à être une ombre et le deuxième que le personnage est au cœur de lui-même, blessé mais aimant, ironique mais amical. Corinne Touzet joue la bourgeoise blanche que la vie frappe soudain de plusieurs côtés à la fois. Elle tient le rôle avec une belle implication physique, souvent audacieuse, et dessine tout un diagramme d’états d’âme. Ce sont deux acteurs dans une boîte, qui ne sortent pas de leur pré carré. L’exercice, tout plaisant qu’il paraisse, est difficile. Corinne Touzet et Jean-Erns Marie-Louise composent ce duo dans son charme comme dans son âpreté. La mise en scène d’Anne Bourgeois place finement ses tempos, comme au jazz : on navigue entre la nervosité et l’harmonie. La jolie pièce de Sophie forte est parfaitement mise en vie dans sa mobile immobilité.
Voyage en ascenseur de Sophie Forte, mise en scène d’Anne Bourgeois, assistanat de Betty Lemoine, décor de Jean-Michel Adam, lumières de Denis Schlepp, costumes de Virginie H., musique de François Peyrony, images de Léonard, avec Jean-Erns Marie-Louise et Corinne Touzet.
Théâtre Rive Gauche, 21 h, tél. : 01 43 35 32 31. (Durée : 1 h 20)
Photo DR.