Rigoletto de Verdi

Verdi les yeux fermés

Reprise à la Bastille de Rigoletto, l’opéra de Verdi servi par une distribution éclatante

Verdi les yeux fermés

Ludovic Tézier, Nadine Sierra, Dmitry Korchak. C’est sur ce trio gagnant de chanteurs que repose le succès de la reprise à l’Opéra Bastille de Rigoletto (1851), opéra fétiche de Verdi, sommet de l’art lyrique. Une distribution d’autant plus idéale qu’elle est entourée d’une pléiade de seconds rôles tous à la hauteur (1). Sous la direction fougueuse mais précise du jeune chef italien Giacomo Sagripanti qui mène tout son monde et l’Orchestre et les chœurs de l’Opéra de Paris en grande forme. Si cette distribution s’impose, en revanche on ne comprend toujours pas les intentions du metteur en scène, l’Allemand Claus Guth.

Tout est fait dans cette production créée en 2016 - reprise plusieurs fois depuis tant le melodramma en trois actes de Verdi est populaire - pour casser l’émotion. On se perd en conjectures dans les méandres d’une mise en scène parfaitement absconse, vision très cérébrale de l’opéra de Verdi, basé sur la pièce de Victor Hugo Le Roi s’amuse (1832). Un drame historique et romantique à souhait qui a pour personnage principal Triboulet, bouffon de François Ier, que Verdi et son librettiste Piave ont transposé à la cour de Mantoue à l’époque de la Renaissance, dans une trame aussi rocambolesque, voire plus, que l’originale.

Prenant très au sérieux cette histoire sans aucune vraisemblance, pur prétexte au bel canto, le metteur en scène a voulu à tout prix lui attribuer un sens caché qui l’obscurcit encore plus. Il a fait doubler le rôle chanté de Rigoletto par un personnage muet de clown triste, figure expressionniste grimée et masquée, jouée par le comédien et chanteur à l’imposante stature Henri Bernard Guizirian. Seul sur le plateau vide pendant le prologue, il trimbale une grosse caisse en carton. Caisse que, dès son entrée en scène, Rigoletto (le vrai, le chanteur) ouvre telle une boîte de Pandore qui, parvenu à la fin de vie, lui fait revivre les étapes de son calvaire de bouffon princier dans un flashback poignant. Cette caisse s’agrandit pour devenir sinistre décor de carton ondulé pour l’opéra, avec des séquences de cabaret berlinois des années trente. Le tout ponctué de projections vidéos sur écrans géants en fond de scène, apportant un peu d’air frais dans cet univers confiné.

A charge pour les chanteurs d’incarner ces personnages privés de toute épaisseur. Ce n’est pas le moindre mérite du baryton marseillais Ludovic Tézier que de restituer tout ce que l’histoire de Rigoletto, bossu tragique pris à son propre piège de courtisan, recèle d’émotion. En se confondant avec son personnage, le chanteur/comédien, familier du rôle, donne à entendre de sa voix profonde, longue et très sûre, les multiples facettes du clown pathétique. Tendre envers sa fille cachée, Gilda, son unique bien et sa consolation, il se montre contempteur impitoyable de la société aristocratique corrompue qu’il est condamné à faire rire et qui, de son propre aveu, a fait de lui « un vil scélérat ».

La tendresse, la soprano américaine Nadine Sierra, elle aussi familière du rôle, en a à revendre, incarnant une Gilda gracile aux trilles aériens, toute de compassion envers son malheureux père et proie facile pour le Duc de Mantoue, auquel elle se donne, et pour lequel elle n’est qu’une conquête de plus. Un Duc auquel le ténor russe Dmitry Korchak confère toute sa vaillance et son panache, avec une maîtrise de sa partition, sans en rajouter plus que de raison, notamment dans son air fameux « la donna è mobile », hit absolu du bel canto verdien.

Dans son sillage, il faut citer aussi la basse géorgienne Goderdzi Janelidze en Sparafucile, l’exécuteur des basses œuvres, la soprano Cassandre Berthon, sa sœur Giovanna, chargée de séduire le Conte , et tous les autres... Dont les Chœurs de l’Opéra de Paris qui, non contents d’être musicalement toujours aussi performants, se prêtent de bonne grâce à la gestuelle compliquée imposée par la mise en scène.

Un spectacle à voir – ou plutôt à entendre – les yeux fermés.

Rigoletto, de Verdi. Mise en scène : Claus Guth. Direction musicale : Giacomo Sagripanti
Décors et costumes : Christian Schmidt. Lumières : Olaf Winter. Vidéo : Andi A. Müller. Chorégraphie : Teresa Rotemberg. Dramaturgie : Konrad Kuhn. Avec Ludovic Tézier (Rigoletto), Nadine Sierra (Gilda), Goderdzi Janelidze (Sparafucile), Dmitry Korchak (le Duc de Mantoue), Cassandre Berthon (Giovanna), Justina Gringyté (Maddalena), Bogdan Talos (le Comte de Monterone), Jean-Luc Ballestra (Marullo), Henri Bernard Guizirian (double de Rigoletto).
(1)Une distribution alternative pour les rôles principaux est proposée courant novembre mais pour ce que l’on en sait, elle ne démérite pas.
www.operadeparis.fr

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de sa...

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