Un piano dans la montagne/Carmen d’après Bizet, mise en scène de Sandrine Anglade - Scène nationale du Sud-Aquitain, Bayonne.

Art lyrique et art théâtral de belle exigence - un bijou pour un public élargi.

Un piano dans la montagne/Carmen d'après Bizet, mise en scène de Sandrine Anglade - Scène nationale du Sud-Aquitain, Bayonne.

Pour en finir d’hésiter, quant à la reconnaissance admise d’une identité féminine trop longtemps bafouée, la figure de Carmen affirme son désir existentiel et sa liberté : maîtresse de son propre corps, et non asservie au désir des hommes qui voudraient la voir endosser le rôle de dangereuse et fatale séductrice, loin du sacro-saint modèle ancestral d’une mère intouchable et sacrée. Bizet s’est emparé de la nouvelle de Mérimée pour élever un monument juste et altier, dédié à la femme.

Intensité flamboyante de l’histoire de Carmen et de Don José, soit l’expérience d’une violence archaïque à travers quatre pianos puissants et les talents multiples d’interprètes instrumentistes.
Pour la metteuse en scène Sandrine Anglade, la figure féminine avance sa volonté d’insouciance - signe inconditionnel de la valeur-vie -, à travers la musique. Marginaux, anormaux, subversifs et transgressifs, tels sont Carmen et Don José, amoureux malheureux, à l’origine d’un destin fatal.

Don José, le Navarrais, et Carmen, la Gitane, sont des étrangers, des exclus qui doivent être sacrifiés, boucs-émissaires désignés par la violence collective - un rituel dionysiaque où l’éviction de Carmen et celle de Don José permet de recréer l’ordre, l’intégrité culturelle contre le chaos.

Au-delà du livret de Meilhac et Halévy et de l’opéra comique formel, la musique de Bizet fait écho à la nouvelle de Mérimée - récit de désir, de violence et de sang. Une version que la conceptrice dit intime et dont la vérité, celle d’une humanité primitive mythique, est mise en musique, dans la rigueur de l’art musical et lyrique épousant les exigences de la scène, loin d’un théâtre dit musical.

Ronde fascinante, Carmen incarne la révélation enfantine du désir des hommes où se perd Don José, tueur repenti presque animal. Attaché à la maison familiale, l’amoureux est lié à sa mère, même à travers Micaela, fiancée et ombre incestueuse : « la perdition de Don José ne tient pas seulement à son désir violent et impuissant pour Carmen, mais à son incapacité à tuer sa part enfantine, à se projeter dans l’avenir.

Escamillo, le toréador, oriente cette sauvagerie vers l’acte culturel de la corrida. Figure du destin, il représente la mort : « Songe bien qu’un oeil noir te regarde, et que l’amour - la mort - t’attend ».

Sur la scène, jouent quatre pianistes chanteurs dont les instruments chahuteurs changent de place et de perspective, formant un groupe vocal hétéroclite et malicieux, assumant certains rôles, suivis de quatre protagonistes chanteurs-comédiens de haut niveau et de deux acteurs chanteurs : dix interprètes rejoints dans les villes de tournée par un chœur d’enfants amateurs formés à cette fin.

Aussi Un piano dans la montage/ Carmen s’ouvre-t-il à un public élargi, sur des scènes lyriques comme de théâtre, afin de redécouvrir Carmen de Bizet dans une version intime - émancipation de tous les a priori attachés à la tradition des représentations passées. Le drame des personnages - Carmen, Don José, Escamillo, Micaëla - est resserré, de même la confrontation entre collectif et individu, choeur et présence multiple face aux protagonistes, à la fois drame intime et social.

Avec les voix de grande sensibilité des chanteurs - finesse et puissance -, le piano - quatre fils ont été tirés de la partition orchestrale initiale - chante des mélodies aux images harmoniques. Et l’accordeuse de piano, Emmanuelle Archambeau, protège le bien-être des instruments voyageurs.

La mezzo-soprano Manon Jürgens est une Carmen sensuelle et palpitante, très incarnée et vivante ; le ténor Pierre-Emmanuel Roublet a toute la fragilité en même temps que l’arrogance de l’éconduit. La soprano Parveen Savart joue une Micaela facétieuse et rebelle aussi, quand elle dit sa déception face au sort malheureux des sopranos scéniques, qui toujours disparaissent. Le baryton plein de lumière Antoine Philippot incarne le torero Escamillo, radieux et émancipé.

Spectacle festif enchanteur dont la fascination tient à l’art théâtral et l’art lyrique mêlés, dans une jolie danse de pianos, sous des éclairages de cirque - ombre et lumière -, vision allègre et joyeuse.

Un piano dans la montagne/ Carmen d’après Georges Bizet, conception et mise en scène Sandrine Anglade, transcription, écriture, collaboration dramaturgique Clément Camar-Mercier, transcription et direction musicales Nikola Takov, scénographie Goury, lumières Caty Olive, 
costumes Magali Perrin-Toinin. Avec Manon Jürgens (Carmen), Pierre-Emmanuel Roubet en alternance avec Blaise Rantoanina (Don José), Antoine Philippot (Escamillo), Parveen Savart (Micaela), Nikola Takov (piano, aubergiste et choeur), Julie Alcaraz (piano, violoncelle, Fransquita et choeur), Benjamin Laurent (piano, Moralès et choeur)Julia Filoleau (piano, Mercédès et choeur), Rony Wolff (Zuniga, Dancaïre et choeur), Florent Dorin (le guide et choeur). Les 21, 22 et 24 novembre 2023 à Bayonne, Scène nationale du Sud-Aquitain. Le 28 novembre à Tarbes, Le Parvis - Scène nationale. Le 1er décembre à Arcachon, Théâtre Olympia. Le 8 décembre à Corbeil-Essonnes, Théâtre de Corbeil-Essonnes. Le 21 décembre Le Perreux, Centre des bords de Marne. Le 20 janvier 2024, Vincennes, Auditorium Jean-Pierre Miquel. Le 23 janvier,Théâtre de Choisy-le-Roi. Les 26 et 27 janvier, Rosny-sous-Bois, Théâtre George Simenon. Le 1er février, Meudon, Centre d’art et de culture. Le 8 février, Saint-Germain-en-Laye, Théâtre Alexandre Dumas. Les 14 et 15 mars, Bourg-en-Bresse, Scène nationale.

Crédit photo : Amanpour Gharaei

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Véronique Hotte

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