Così fan tutte de Mozart au Palais Garnier

Un Così en mouvement perpétuel

L’Opéra Garnier reprend la production de l’œuvre de Mozart mise en scène et chorégraphiée par Anne Teresa De Keersmaeker.

Un Così en mouvement perpétuel

Sept ans déjà ! C’est en 2017 qu’Anne Teresa De Keersmaeker mettait en scène et chorégraphiait le Così fan tutte de Mozart, production éclatante qui n’a jamais été reprise depuis lors. Or aujourd’hui, sept ans, c’est beaucoup. Il fallait donc vérifier que ce spectacle, qui avait fait grand bruit à l’époque, résistait à l’épreuve du temps. Et surtout que la nouvelle distribution choisie pour cette dizaine de représentations au Palais Garnier allait s’adapter aux directives de la chorégraphe belge aussi bien que l’avait fait la première. La réponse à ces deux questions est globalement positive, avec des nuances toutefois selon les interprètes.

Inédit, le principe du spectacle est que chacun des six personnages du brillantissime opera buffa, très resserré en deux actes, conçu par Mozart avec son librettiste Da Ponte (1790), est incarné à la fois par un chanteur et un danseur de la Compagnie Rosas. Créée et dirigée par la très exigeante et austère Anne Teresa De Keersmaeker, ladite compagnie s’est fait une spécialité d’adapter à la danse un répertoire très vaste de musique classique (Bach…) et moderne (Bartók, Steve Reich…). En aucun cas il ne s’agit pour elle d’illustrer – encore moins de reproduire – le mouvement musical. La chorégraphe a une conception tout abstraite, paradoxale et néanmoins fascinante de la danse, le mouvement des danseurs suivant des lignes souvent en forme de cercle ou de demi-cercle reflète la dynamique interne des personnages, et les sautes d’humeur qui les font passer de l’exaltation à l’abattement, de l’allégresse à l’inquiétude.

Mouvement des corps et des âmes

En réalité, dans la mention : « mise en scène et chorégraphie », la conjonction de coordination « et » s’avère superfétatoire tant les deux pratiques se mêlent et se confondent. Les chanteurs en effet ne sauraient se contenter de chanter mais doivent se déplacer dans l’espace au rythme de leur partition. Ce qu’ils accomplissent avec plus ou moins de grâce, certains égalant voire dépassant leurs doubles dansés. Bien entendu, les mouvements des uns et des autres ne se décalquent pas ni se dédoublent, disons qu’ils se prolongent mutuellement. Avec l’inévitable dispersion de l’attention que cela implique pour le spectateur, le regard s’épuisant parfois à suivre les évolutions simultanées des différents artistes.

Le mouvement des âmes en phase avec celui des corps, c’est cette vision que préconise la chorégraphe. Pur prétexte à airs virtuoses, l’intrigue organise la confrontation entre deux couples de jeunes amoureux (les deux sœurs, Fiordiligi et Dorabella, et leurs fringants fiancés, Ferrando et Guglielmo). À coups de stratagèmes et autres travestissements ourdis par le philosophe misanthrope Don Alfonso, qui mène le jeu, secondé par la maligne servante Despina, les hommes se font forts de démontrer l’infidélité de leur promise et, partant, de tout le sexe dit faible. De façon surprenante (surtout depuis #MeToo), Anne Teresa De Keersmaeker récuse la misogynie pourtant patente du livret, tout entière exprimée dans le titre de l’opéra « Ainsi font-elles toutes ». Et ne veut voir dans l’intrigue que l’évolution permanente du sentiment amoureux, mettant à jour un affect complexe, en perpétuel mouvement, qui bat en brèche l’idée préconçue d’un amour stable et éternel.

Pour tout décor, la gigantesque arrière-scène du Palais Garnier est mise à nu et peinte en blanc (parquet et cintres compris), cernée de pans de plexiglas entre lesquels se font les entrées et sorties. Dans une ambiance très froide, presque clinique, le plateau ressemble à un laboratoire où doit se mener l’expérience des sentiments (et de la vie).

Impérieux et désopilante

Soucieux de rendre toutes les subtilités de la partition (et de la mise en scène/chorégraphie), le chef espagnol Pablo Heras-Casado, à la tête de l’Orchestre et des chœurs de l’Opéra de Paris, nous a semblé ralentir le tempo dans un spectacle qui manque parfois de vivacité (l’opéra s’étire sur plus de trois heures, dont un entracte). À mettre à son crédit : l’accompagnement très délicat des voix. C’est surtout sensible dans la grande aria de Fiordiligi du second acte, « Per pietà, ben mio, perdona… », d’une incroyable complexité. C’est dans cette aria qu’éclate le talent de la soprano Vannina Santoni qui domine la distribution avec une voix d’une amplitude et d’une subtilité remarquables. Tout à fait à la hauteur, le ténor canadien Josh Lovell, qui lui donne la réplique, campe un Ferrando vocalement et scéniquement très séduisant, particulièrement dans son air « Un aura amorosa… ».

Moins probant, l’autre couple formé par la mezzo américaine Angela Brower, Dorabella un peu terne, et le baryton-basse canadien Gordon Bintner, Guglielmo parfois à la limite de la justesse. En revanche, impayable est la paire formée par le baryton Paulo Szot, impérieux Don Alfonso, et la soprano sud-coréenne Hera Hyesang, Despina désopilante, très commedia dell’arte dans son rôle de servante espiègle, faux notaire et faux médecin mais vraie voix mozartienne experte ès âmes humaines.

Photo : Benoîte Fanton

Wolfgang Amadeus Mozart : Così fan tutte, au Palais Garnier jusqu’au 9 juillet (https://www.operadeparis.fr)
Avec Vanina Santoni, Josh Lovell, Angela Brower, Gordon Bintner, Hera Hyesang Park, Paulo Szot. Direction musicale : Pablo Heras-Casado. Mise en scène et chorégraphie : Anne Teresa De Keersmaeker. Décors et lumières : Jan Versweyveld. Costumes : An D’Huys. Dramaturgie : Jan Vandenhouwe. Chef des chœurs : Alessandro Di Stefano. Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris. Danseurs de la Compagnie Rosas.

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook