Ubu roi à L’Athénée jusqu’au 20 octobre 2024

Ubu tambour battant

Avec la troupe des Frivolités parisiennes, la pièce d’Alfred Jarry mise en musique par Claude Terrasse déborde de malice et d’ingéniosité.

Ubu tambour battant

S’IL FALLAIT UN DÉMENTI à ce truisme voulant que « la musique adoucit les mœurs », l’Ubu roi d’Alfred Jarry mis en musique par Claude Terrasse, en serait un tout trouvé. Tout dans la composition du musicien d’opérettes, ami et complice en pataphysique de l’écrivain, amateur comme lui de « vers de mirliton », contribue à exacerber les ridicules belliqueux du personnage d’Ubu. Surréaliste avant l’heure, ce quidam devenu roi de Pologne à force d’extorsions les plus éhontées, personnage au-delà du grotesque, créé par Alfred Jarry en 1895, prend ici des allures d’anti-Macbeth, parodiant à la fois la pièce de Shakespeare et l’opéra que Verdi en a tiré.

Aiguillonnée par le metteur en scène Pascal Neyron, la troupe des Frivolités parisiennes n’a de cesse de revitaliser le répertoire lyrique léger français oublié. Dernier en date, Gosse de riche, dans cette même salle de l’Athénée au printemps dernier. Récemment exhumée, la musique orchestrale d’Ubu roi, jouée en 1908, ponctue les péripéties grotesques du Père Ubu et de son épouse et rivale en gloutonnerie, la Mère Ubu. Insatisfait de sa position de capitaine des dragons du roi de Pologne, ce parvenu l’occit ainsi que tout son entourage, et assoit son pouvoir à coups d’impôts, avant de se lancer dans une guerre perdue d’avance contre l’ennemi héréditaire, le tsar de Russie. Parangon de la folie des grandeurs et de la vulgarité la plus crasse, cet Ubu à la soif de pouvoir inextinguible n’est hélas pas sans écho dans la réalité contemporaine.

Introduit par un bref prologue orchestral, le spectacle ne comporte pas d’airs chantés, relevant plus du théâtre musical que de l’opérette. Les onze musiciens qui forment l’orchestre (composé surtout d’instruments à vent) interviennent de-ci de-là, ajoutant à la pièce de Jarry de lapidaires ponctuations musicales. Mais faisant fi du cloisonnement habituel dans ce genre, qui répartit musiciens dans la fosse et comédiens sur scène, Pascal Neyron mêle tous les artistes sur la scène plutôt exiguë de l’Athénée, contribuant à des mêlées du plus haut comique. Entre fanfare militaire, musique de cirque ou de théâtre de tréteaux, le spectacle va bon train. Le clou en est un riff inédit de guitare électrique, offert par un musicien solo pour célébrer la victoire d’Ubu sur le roi de Pologne.

Hydre fiscale

Avec peu de moyens, cette coproduction avec l’Opéra de Reims fait preuve d’une grande ingéniosité dans les décors réduits à leur plus simple expression et dans les costumes. De gros boudins flexibles tombés des cintres suffisent à représenter l’hydre fiscale qui engloutit les sujets du Père Ubu sur ce seul jugement expéditif « À la trappe ! », répété comme un mantra. Ces mêmes gros boudins représentent l’invraisemblable et hilarant « voiturin des phynances », le véhicule dont se sert l’autocrate pour collecter les impôts de ses sujets qu’il rançonne jusqu’à plus soif.

Affublé d’un marcel trop grand pour lui, Paul Janson, avec son physique à la Michel Blanc, campe un père Ubu vulgaire à souhait. Sol Espeche ne lui cède en rien en Mère Ubu, insatiable harpie qui n’est pas sans rappeler une dirigeante politique actuelle. Le reste de la troupe est à l’avenant. On regrette juste que la frénésie narrative du texte et l’alacrité de la musique soient ralenties parfois par des dialogues un peu bavards, un rien longuets.

Photo : Christophe Raynaud Delage

Ubu roi d’Alfred Jarry, musique de Claude Terrasse. Avec Paul Jeanson, Sol Espeche, Jean-Louis Coulloc’h, Nathalie Bigorre, Manu Laskar, Elisabeth de Ereño. Et l’Orchestre Les Frivolités Parisiennes. Mise en scène : Pascal Neyron. Collaboration artistique : Charles-Alexandre Creton. Scénographie & création lumière : Camille Duchemin. Création costumes : Sabine Schlemmer. Réalisation costumes : Julia Brochier et Clémentine Tonnelier.
À L’Athénée jusqu’au 20 octobre 2024 (https//www.athenee-theatre.com). Tournée : les 23 et 24 novembre à l’Opéra de Reims.

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de...

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