Trois opéras unis par le signe de la mort cachée
Avec « Il Trittico » de Puccini, le Liceu de Barcelone accueille un de ses auteurs préférés avec enthousiasme.
- Publié par
- 1er décembre 2022
- Critiques
- Opéra & Classique
- 0
-
C’EST SOUS LE SIGNE DE LA MORT, qui réunit les trois opéras, que le Gran Teatre del Liceu présente Il Trittico de Giacomo Puccini dans la production du Bayerische Staatsoper de Munich : une bière transportant discrètement une dépouille inconnue ouvre les trois contes. Le scénographe Berhard Hammer a placé les trois opéras dans le même endroit : un tube métallique. Si le dispositif pouvait représenter – à la rigueur – la cale du bateau de Michele, il est plus difficile d’imaginer le lieu en tant que couvent de religieuses et encore moins comme la somptueuse demeure florentine des Donati. Ce sont les costumes, signés Jrorine van Beek, qui seuls permettent de situer les trois contes dans leurs contextes corrects de lieux et de temps.
La mise en scène dramatique de Lotte de Beer, classique et sans surprise majeure, permet au public de suivre et de comprendre les histoires, disparates en apparence, réunies par le compositeur. Elle s’est seulement permis quelques divergences mineures par rapport au livret. Citons la seule qui nous a semblé excessive et gratuite : Sœur Angelica est ici montrée inquiète et rebelle – ce qui est certes possible compte tenu de la situation particulière de la jeune nonne –, alors qu’habituellement elle est représentée comme une personne douce et renfermée. Pour le reste, les acteurs agissent en accord avec la continuité des histoires (dramatique, sentimentale ou comique) en chacun s’adaptant parfaitement à son rôle. On applaudit en particulier le jeu des acteurs de Schicchi, toujours complexe vu la variation des situations dramatiques et le nombre élevé des personnages sur scène.
Dans la fosse, Susanna Mālkki dirige l’Orchestre symphonique du Liceu avec une énergie excessive par moments. Elle pousse sans cesse les acteurs sur scène à s’exprimer avec force (dans Il Tabarro et Gianni Schicchi en particulier), elle sollicite aussi des effets (durée des points d’orgue en particulier) à la recherche de l’applaudissement.
Une pointe d’ironie
Ambrogio Maestri brille sans conteste dans sa double prestation : Michele, le mari trompé, assassin, et l’hilarant Gianni Schicchi. On admire son expression claire et tranquille en apparence – même sous la pression que l’on peut imaginer dans Tabarro –, l’élégance de son timbre, sa parfaite diction italienne, et sa présence physique imposante. Le public a aussi beaucoup apprécié le travail de Brandon Jovanovich dans le rôle de Luigi (Tabarro), pour son émission généreuse, son beau timbre, et son incontestable prestance dramatique.
Ermonela Jaho campe vocalement une sœur Angelica de très haut vol. L’artiste se plie parfaitement à la demande dramatique de Lotte de Beer. Vocalement elle sait parfaitement exprimer les différents états psychologiques de la novice avec élégance, la plus grande discrétion et sans pathos excessif. En particulier, elle interprète à la perfection l’air attendu « Senza mamma », bien qu’on puisse remarquer que la volonté de l’artiste de s’ajuster au mieux à la partition, lui fait oublier la situation dramatique que le personnage est en train de traverser. Il est impossible de commenter ici l’ensemble des voix féminines de l’opéra de Puccini. Nous applaudissons évidemment Daniella Barcellona (La zia Principessa) ou Mireia Pintó (La suora celatrice). Deux jeunes voix nous ont frappés malgré leurs brèves interventions : Carolina Fajardo (Suor Osmina) et Mar Moràn (La novizia), que nous espérons pouvoir entendre dans des rôles plus développés.
Gianni Schicchi redonne au public le sourire perdu pendant les deux premiers opéras. Laissant de côté la scénographie, ou malgré elle si l’on veut, la drôle d’histoire, la musique, et surtout le travail vocal et dramatique des chanteurs ont réussi à renverser la situation douloureuse et pesante laissée par les deux histoires précédentes. Ambrogio Maestri (Gianni) est de nouveau le support vocal et dramatique de la situation. Son jeu, nuancé, efficace a conquis le public, avec justice, au plus haut degré. À ses côtés, c’est Ruth Iniesta qui, grâce à son interprétation de la chanson de Lauretta, vocalement sans faille et avec la pointe d’ironie qu’elle a su y rajouter (bravo Lotte de Beer !) sait donner une nouvelle impulsion à l’histoire issue de la Commedia du Dante.
Photo : Ana Jiménez
Puccini : Il tabarro. Ambrogio Maestri (Michele), Brandon Jovanovich (Luisgi), Il Tinca (Pablo García López), Il Talpa (Valerioano Lanchas), Giorgetta (Lise Davidsen), Frugola (Mireia Pintó). Suor Angelica. Ermonela Jaho (Suor Angelica), Daniela Barcellona (La zia Principessa), Maria Luisa Corbacho (La badessa), Mireia Pintó (La suora zelatrice), Marta Infante (Maesrtra delle novizie), Mercedes Gancedo (Suor Genovieffa), Carolina Fajardo (Suor Osmina), Berna Përles (Suor Dolcina), Laura Vila (La suora infirmiera) Mar Morán (La Novizia). Gianni Schicchi. Ambrogio Maestri (Gianni Schicchi), Ruth Iniesta (Lauretta), Daniela Barcellona (Zita), Iván Ayón-Rivas (Rinuccio), Marc Sala (Gherardo, Berna Perles (Nella), Pau Armengol (Betto di Signa), Stephano Palatchi (Simone), David Oller (Marco), Mireia Pintó (La ciesca) Luis López Navarro (Maestro Spinelloccio). Mise en scène : Lotte de Beer, décors : Bernhard Hammer, costumes : Jrorine van Beek, lumières : Alex Brok. Chœur (dir. Pablo Assante) et Orchestre symphonique du Gran Teatre del Liceu, dir. Susanna Mālkki. Gran Teatre del Liceu, Barcelone, 29 novembre 2022. Représentations suivantes : les 1, 3, 5, 7, 9, 11, 13 et 15 décembre.