Tosca de Giacomo Puccini
La grâce et la mort
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- 21 mai 2019
- Critiques
- Opéra & Classique
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La lourde croix de béton brut plane sur la scène parisienne comme pèse le destin sur les personnages, dans cette Tosca mise en scène de Pierre Audi, reprise une trentaine de fois depuis sa création en 2014. Malgré des défections regrettées, cette Tosca fonctionne bien, grâce notamment à une Anja Harteros époustouflante.
D’aucuns regretteront de ne pas voir une Tosca plus opulente et souveraine, on goûte ce soir le talent d’une grande chanteuse au timbre voluptueux, aux couleurs délicates et raffinées, aux aigus cristallins. Anja Harteros, bouleversante, marche avec perfection sur la fine crête entre fragilité permanente et jalousie mortifère, entre douceur douloureuse et rage criminelle. C’est l’aisance et le naturel de la soprano allemande qui frappent : cette Tosca pieuse et vengeresse est une femme de fêlures et d’honneur. On aurait évidemment aimé que la réplique lui soit donnée par l’autre star attendue, son compère de toujours, Jonas Kaufmann, empêché par une toux persistante. La complicité avec son remplaçant est évidemment moins évidente.
Le style Grigolo est maintenant connu du public parisien. Roi de l’emphase, des lignes très maniérées et de la projection parfaite, le ténor italien a resservi pour cette Tosca une recette qui marche. Expressif et impliqué, Vittorio Grigolo, très bon comédien, restitue un Mario Cavaradossi tourmenté, blessé, passionné… Tendue dans le premier acte, la voix, puissante tout du long, s’assouplit. Si la technique vocale est difficilement discutable, son sens de la nuance semble moins manifeste : le recours aux forte vire presque à l’abus. L’attendu « E lucevan le stelle » débuté sur un doux récitatif plein de promesses termine dans une passion lyrique surjouée.
Željko Lučić excelle dans le rôle d’un Scarpia libidineux et pervers, animé par sa tentation charnelle tout autant que par son plaisir non dissimulé à voir la souffrance ronger ses semblables. En chef de police tortionnaire et inhumain, ce Scarpia montre une arrogance vraie et un goût immodéré pour le mal qui opère. La voix est toutefois un cran en-dessous, fatiguée. Le timbre est profond et la ligne plutôt claire, mais le baryton serbe manque de puissance : on regrette qu’en plus de se voir, le pouvoir ne puisse véritablement s’entendre.
Malgré des débuts un peu timides, on apprécie la riche profondeur de la basse Sava Vemić en Cesare Angelotti. Les autre seconds rôles sont bien tenus : Nicolas Cavallier en sacristain, Rodolphe Briand en Spoletta, Igor Gnidii en Sciarrone, et Christian Rodrigue Moungoungou en geôlier.
Dans la fosse, Dan Ettinger montre une direction précise et intelligente. Sa maîtrise et son adaptation aux tempos de la scène sont remarquables, il met l’orchestre de l’Opéra national de Paris à sa juste place, et en extrait de jolies couleurs. Grâce à une battue sereine, le chef israélien insuffle un souffle grave à cette musique, et offre des teintes sacrées particulièrement à-propos.
Cadre de ces plaisirs musicaux, la mise en scène de Pierre Audi propose une lecture littérale du livret et une approche classique, bien que l’angle religieux soit préféré au politique. Trois parties, trois décors (voir WT 5316), et pour fil rouge –couleur récurrente, symbole annonciateur de la mort- cette croix immense, qui repose sur terre avant de planer puis menacer la scène. Les tableaux sobres mais élégants servent tout à fait le sens de l’œuvre dans une mise en scène qui fonctionne finalement plutôt bien. On doit toutefois se contenter d’un jeu d’acteurs assez pauvre, convenu et souvent artificiel : les bras écartés pour s’indigner, l’étreinte pour s’aimer, le vif tournement de talons pour s’offusquer…
Bercés par une musique intemporelle, on retient en fermant les yeux ces scènes grandioses, comme le Te Deum et l’arrivée du Pape sur le promontoire à la fin de la première partie et, évidemment, cette lente marche de Tosca vers la lumière de la mort… Harteros en Tosca magnifie le drame, allons la voir, l’écouter, et profiter !
Tosca de Giacomo Puccini, livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica d’après Victorien Sardou. Orchestre et Cœurs de l’Opéra National de Paris, direction Dan Ettinger, maîtrise Hauts de Seine et Chœur d’enfants de l’Opéra National de Paris, chef des chœurs José Luis Basso, mise en scène Pierre
Audi. Décors Christof Hetzer, costumes Robby Duiveman, lumières Jean Kalman.
Avec Anja Harteros, Vittorio Grigolo, Željko Lučić, Sava Vemić, Nicolas Cavallier, Rodolphe Briand, Igor Gnidii, Christian Rodrigue Moungoungou.
Opéra National de Paris – Bastille, les 16, 22, 25 et 29 mai, à 19h30 ; le 19 mai à 14h30. Les 1er, 5, 8, 11, 14, 19 juin à 19h30 ; le 23 juin à 14h30.
08 92 89 90 90 - +33 1 72 29 35 35 – www.operadeparis.fr
© Svetlana Loboff