Sylvia par la Cie Artara

Biopic morcelé d’une femme écorchée

Sylvia par la Cie Artara

Spectaculaire mise en abymes de la vie la poétesse Sylvia Plath (1932-1963) qui laissa son conjoint atteindre la célébrité en tant qu’écrivain alors qu’elle restait dans l’ombre avec ses propres poèmes et finit par se suicider. Murgia la présente sur le plateau de tournage d’un film, entremêlant cinéma et théâtre.

Fabrice Murgia explore et expose les relations complexes que la fiction noue avec la réalité. Il se plait à mettre sur scène des moments de théâtre qui donnent à voir un spectacle mais aussi ses coulisses et ses loges, à regarder des personnages en tant que tels et les acteurs en train de se préparer à incarner leur rôle. Il pousse même cette mise en abyme plus loin puisque la présence de caméramans permet de visionner un spectacle vivant avec présence réelle des comédiens et un spectacle filmé car des séquences sont simultanément projetées sur grand écran. Celui-ci offre des dialogues en version française et des sous-titres pour la version anglaise.

Ce mélange du réel et de sa fiction est d’ailleurs extrême lorsqu’un spectateur en chair et en os est amené à monter sur scène pour y incarner le mari (rôle à interpréter) de la poétesse, qui, plus est, voit son apparence physique transformée grâce à un masque. Ajoutons-y ce moment où la salle s’allume pour que le public puisse applaudir à la remise d’un prix littéraire comme si cela se déroulait au présent. Et, cerise amère sur le plateau, une des séquences finales explique les démêlés de la troupe avec les ayant-droits de la poétesse qui ont refusé la libre utilisation de poèmes…

Un mélange très cocktail

Tout est donc combinaison. Outre ciné et scène, la présence d’un quatuor musical et de la chanteuse An Pierlé, dont la voix envoutante porte sa propre poésie, insère dans la représentation une notion de concert, de récital si pas d’opéra. D’autant que la troupe ne rechigne pas à chanter en chœur ou en solo. Et, puis, pourquoi pas, se lance dans la danse via quelques chorégraphies. La musique tient une place prépondérante. Elle est d’atmosphères, d’accompagner le jeu corporel et vocal, de supporter les paroles de chansons, d’insuffler le rythme du spectacle.

Divers autres mélanges structurent l’ensemble. Fusion temporelle entre l’avant et le présent : la pièce semble avoir commencé tandis que les spectateurs entrent. Confusion temporelle : le vrai début est le suicide au gaz de Sylvia et la suite joue avec la chronologie. Fragmentation identitaire : la figure centrale de cette histoire est incarnée par neuf comédiennes. Spatialité en va-et-vient : la mise en scène occupe tout le volume du plateau. Des décors sont amenés et retirés à vue. Rien ici n’est jamais immobile. L’action est incessante tant il se passe toujours quelque chose quelque part et les périodes de silence sont éphémères.

Cette richesse foisonnante n’entrave pas la compréhension du contenu. On se laisse emporter par une troupe où chacune des actrices se donne à fond. Cette biographie condensée dévoile l’existence d’une femme à qui la société a donné le devoir d’être épouse, mère, ménagère, amante mais nullement la possibilité de s’épanouir en écrivaine reconnue, contrairement à son mari. Se révèlent en filigrane les tourments psychologiques et relationnels d’une personne bipolaire. Dilemmes et humiliations balisent une existence chaotique qui se déroule avec, en arrière-plan, les revendications féministes, loin d’être solutionnées aujourd’hui en dépit d’avancées certaines.

02.02.>03.02.2023 Maison de la Culture Tournai (Be) (en collaboration avec la Rose des Vents, Villeneuve d’Ascq)
15.02.>17.02.2023 Théâtre national Bruxelles (Be)

Durée : 1h45

Avec : Valérie Bauchau, Clara Bonnet, Solène Cizeron, Vanessa Compagnucci, Vinora Epp, Léone François, Magali Pinglaut, Ariane Rousseau, Scarlet Tummers
Mise en scène : Fabrice Murgia
Musique : An Pierlé (voix et piano), Koen Gisen (clarinette basse, sax, guitare, percussions), Hendrik Lasure (clavier, ordinateurs), Casper Van De Velde (percussions)
Photo © Hubert Amiel

Direction photo : Juliette Van Dormael
Assistanat caméra : Takeiki Flon
Assistanat à la mise en scène : Justine Lequette, Shana Lellouch
Assistanat en tournée : Maxime Glaude
Création vidéo et lumière, direction technique : Giacinto Caponio
Assistanat création vidéo / régie vidéo : Dimitri Petrovic
Costumes : Marie-Hélène Balau
Scénographie : Rudy Sabounghi
Assistant scénographie : Julien Soulier
Décoratrice : Aurélie Borremans, Valérie Perin
Stagiaires décoration : Léa Pelletier, Sophie Hazebrouck
Documentation, aide à la dramaturgie : Cécile Michel
Construction décors et costumes : Ateliers du Théâtre National Wallonie-Bruxelles
Régie générale : Hugues Girard
Régie lumière : Emily Brassier
Régie son : Bob Hermans
Régie plateau : Marc Defrise, Aurélie Perret, Olivier Vincent
Caméra : Juliette Van Dormael, Aurelie Leporcq
Création : Cie ARTARA, Studio Théâtre National Wallonie-Bruxelles
Coproduction : Théâtre National Wallonie-Bruxelles, Théâtre de Namur, Central (La Louvière), MARS - Mons Arts de la Scène, Fondation Mons 2025, Printemps des Comédiens (Montpellier), Comédie de Saint-Etienne, Théâtre Jean-Vilar (Vitry-sur-Scène), le Carreau (Forbach), Théâtres en Dracénie (Draguignan), Coop asbl, Shelter Prod.
Soutien : taxshelter.be, ING, tax-shelter du gouvernement fédéral belge, DIESE # Auvergne – Rhône-Alpes

Lire : Sylvia Plath, "La Cloche de détresse", Gallimard ( https://livre1.com/lis/la-cloche-de-detresse/)

A propos de l'auteur
Michel Voiturier
Michel Voiturier

Converti au théâtre à l’âge de 10 ans en découvrant des marionnettes patoisantes. Journaliste chroniqueur culturel (théâtre – expos – livres) au quotidien « Le Courrier de l’Escaut » (1967-2011). Critique sur le site « Rue du Théâtre »...

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