Schumann selon Dana Ciocarlie

Dana Ciocarlie a entrepris une folle épopée en 2010 : jouer et enregistrer l’œuvre pour piano entier de Schumann. Elle vient de donner le dixième concert de la série

Schumann selon Dana Ciocarlie

L’action se déroule le mercredi 10 décembre au soir, à l’extrémité de la rue Saint-Dominique. Là se trouve l’hôtel de Béhague, construit à la fin du XIXe siècle par la comtesse Martine de Béarn, qui depuis 1939 abrite l’ambassade de Roumanie. Une fois dans le vestibule, on emprunte un escalier de pierre hélicoïdal peu éclairé. Sur le mur, à droite, des chaînes sont fixées à de petites figurines de métal qui, par le jeu des ombres et des lumières, projettent des silhouettes fantastiques sur la pierre. Serions-nous en Transylvanie ? On s’attend, tout en haut, à être accueilli par le comte Dracula en personne, mais non : voici qu’apparaît la salle dite byzantine, avec sa vaste scène arcadée. L’ambiance est vieil-or, les couleurs sont fanées, les rideaux cachent des mystères ou, plus prosaïquement, les souffrances qu’a imposées au lieu le régime ceaucesco-socialiste. Mais il se dégage une poésie nocturne de ce lieu d’autant plus évocateur qu’il est délabré.

Roumaine d’origine, Dana Ciocarlie a fait ses études musicales dans l’école qui a jadis accueilli Dinu Lipatti et Clara Haskil. C’est presque naturellement que la salle byzantine l’invite à jouer Schumann, compositeur qu’elle a choisi de défendre et d’illustrer il y a quatre ans et dont elle s’est promis de jouer et d’enregistrer l’œuvre intégral pour piano seul. Le récital du 10 décembre est le dixième de la série. Il comprend la Deuxième Sonate pour la jeunesse, qui n’est pas sans pièges, et deux œuvres majeures d’un Schumann moins tardif : les Six études d’après les Caprices de Paganini opus 3 (il existe un autre cahier, qui porte le numéro d’opus 10) et le Carnaval de Vienne.

Sans doute les vicissitudes de l’histoire ont-elles aussi malmené sa struture et son équipement, toujours est-il que la salle n’est pas idéale pour le piano, avec son écho et sa manière de faire sonner les graves qui noie le médium de l’instrument. Mais Dana Ciocarlie passe outre. Son jeu est passionné, urgent, nerveux, elle empoigne le piano comme Schumann devait sans doute empoigner sa propre santé mentale, avec un mélange de bravoure et de véhémence. Les Études, plus imprévues dans leur structure que celles de Liszt, sont autant de splendides roses rouges déposées au pied du tombeau de Paganini.

Schumann tournoyant

Le Carnaval de Vienne, lui, n’est pas un recueil de fragments télescopés comme le Carnaval opus 9 ou les Davidsbündlertänze (son titre original, Faschingswank aus Wien, n’est d’ailleurs pas en français) : c’est une espèce de sonate en cinq mouvements avec trois brèves pages centrales (un mouvement lent presque nu, un scherzo fantasque, un intermezzo qui lance Schumann dans la nuit à la recherche affolée de son amour perdu) encadrées par deux vastes mouvements déconcertants par leur structure et capables de passer en une mesure de la joie la plus exacerbée à la stupeur : une espèce de rondo de plus en plus débridé (mouvement initial), une fantaisie qui fuit en avant et se renouvelle sans jamais conclure (mouvement final).

Autant dire que la technique du pianiste, dans des pages aussi périlleuses, doit se doubler d’un sens de la construction impérieux. Dana Ciocarlie a toutes ces qualités ; son intégrale, si elle se situe à la même constante hauteur, a toutes les chances d’être une fort belle réussite. Un premier volume est déjà paru, qui contient les Noveletten (chez Dolce Vita). Pour que l’entreprise se poursuive, la pianiste a fondé une association* et lancé une souscription qui s’adresse à tous ceux que captivent les humeurs intranquilles de Schumann.

* Association Dana Ciocarlie, 14, rue Drevet, 75018 Paris (www.danaciocarlie.com).

photo Bernard Martinez

Schumann : Sonate pour la jeunesse n° 2, Six études d’après les Caprices de Paganini op. 3, Carnaval de Vienne. Dana Ciocarlie, piano. Salle byzantine de l’ambassade de Roumanie, mercredi 10 décembre 2014.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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1 Message

  • Schumann selon Dana Ciocarlie 12 décembre 2014 16:41, par José-Louis ROLDAN

    Remarquable Pianiste, merci de cet article relayé sur Facebook ; je souhaite qu’un jour l’on puisse acquérir une vidéo DVD de Dana Ciocarlie qui a un extraordinaire talent

    Cordialement

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