Richard II de Shakespeare par Christophe Rauck

La question de la légitimité du pouvoir toujours réactualisée

Richard II de Shakespeare par Christophe Rauck

Triste conte d’hiver, la pièce de Shakespeare Richard II se déroule dans des atmosphères de soleils couchants traversées de « nuages jaloux destinés à obscurcir la gloire » du Roi : soit l’image d’apothéose inversée d’un roi soleil pérennisée par l’effigie mortuaire du monarque enterré à l’abbaye de Westminster sous un manteau de bronze frappé de l’astre sortant des nuages.
(Margaret Jones-Davies dans Richard II de Shakespeare, Bibliothèque de la Pléiade).

Dans la mise en scène de Christophe Rauck, directeur de Nanterre-Amandiers, Centre dramatique national, l’atmosphère est à l’heure sombre et équivoque des ombres nuageuses et des ténèbres : un voile de tulle sépare la scène de la salle. Les personnages aristocratiques, vêtus de noir, sont comme descendus d’un tableau, tels des portraits animés en majesté - des peintures solennelles métamorphosées en scènes vivantes et postures hiératiques éclairées sous des pluies de lumière.

Richard II, interprété par Micha Lescot est vêtu de blanc immaculé, au milieu de la nuit : icône autoritaire et solennelle au début, avant qu’elle ne sombre dans la folie et la prise de conscience.

Une des scènes initiales est significative des enjeux de la dramaturgie shakespearienne : la mise en présence rude et austère des protagonistes : Bolingbroke, cousin de Richard II et fils aîné de Jean de Gand, accuse Mowbray, duc de Norfolk de l’assassinat de leur oncle Gloucester. Eric Challier pour Bolingbroke revendique une présence fière et hautaine ; de même, Guillaume Lévêque qui « ne lâche rien » en Mowbray, tel un double du premier ; et princier, Thierry Bosc est un Jean de Gand tenace, quand Micha Lescot - Richard II - dégage d’abord un dandysme désinvolte et cassant.

Lancers de gants pour un duel judiciaire : le roi Richard II - commanditaire caché du crime - préside la cérémonie et l’interrompt brutalement. Après consultation de son conseil, il condamne les deux adversaires : à l’exil pour Bolingbroke, au bannissement à vie pour Mowbray. L’année suivante, Jean de Gand meurt, Richard II s’empare de la fortune de Bolingbroke, le déshérite, pour aller faire la guerre en Irlande, délaissant la reine - belle et ténébreuse Cécile Garcia Fogel.

Guerre en Irlande ou conflits à l’intérieur du royaume d’Angleterre, l’image vidéo laisse s’épanouir des nuages de destruction et d’explosion qui envahissent les hauteurs grises d’un ciel d’enfer - cendres, fumées, brumes et brouillards perpétrés par l’homme, rappel des grondements actuels. Ou bien visions du gouffre abyssal des fonds marins et exploration de ses remous intérieurs. Des territoires qui posent question aujourd’hui - sauvegarde de la nature, sauvegarde des migrants.

Est apparue entre-temps, la duchesse de Gloucester, belle-soeur de Jean de Gand - autorité naturelle de Muriel Colvez en grande dame amère. Et, à côté du duc d’Aumerle, autre cousin de Richard II - belle vivacité d’Emmanuel Noblet -, les autres acteurs, Louis Albertosi, Pierre-Thomas Jourdan, Pierre-Henri Puente, Adrien Rouyard, sont tous efficaces dans leurs rôles multiples, plus ou moins proches de l’entourage du roi - conseillers, cousins, soldats et jardiniers.

Tragique de l’incertitude, masques, ombres et contradictions, doutes et faiblesses, les débats entre les adversaires se font dans la reconstitution magnifique de la Chambre des communes, la Chambre basse du Parlement, ornée de sévères panneaux sombres et de riches lambris de bois, avec ses longs gradins modulables installés en choeur bi-frontal ou bien posés latéralement.

Négligences, abus et autocratie, le tragique Richard II sera finalement déposé, laissant son royaume à l’usurpateur Bolingbroke revenu trop tôt d’exil. C’est que, doutant de sa légitimité, Richard II a excédé son pouvoir, traitant ses sujets et le peuple d’esclaves, à la différence de Bolingbroke, plus proche et courtois, qui a su s’assurer leur appui en démagogue. De même, Bolingbroke respecte le vieux York, son oncle, alors que Richard se moque du sien, Jean de Gant.

Richard II - post-moderne avant l’heure - acquiert la conscience existentielle quand il perd son prestige, questionnant la « légalité de la rébellion face à la faiblesse d’un pouvoir légitime ».

Un cycle historique qui touche à sa fin, la réflexion sur le pouvoir ne fait que commencer - être ou ne pas être -, et le personnage de Richard II s’approprie des accents beckettiens, avant l’heure.

Un spectacle à la fois somptueux et populaire, au sens noble et vitézien du terme.

Richard II de William Shakespeare, traduction de Jean-Michel Déprats (édit. Gallimard, Folio Théâtre), mise en scène de Christophe Rauck. Dramaturgie Lucas Samain, musique Sylvain Jacques, scénographie Alain Lagarde, lumière Olivier Oudiou, vidéo Etienne Guiol, costumes Coralie Sanvoisin, maquillage et coiffures Cécile Kretschmar, maître d’armes Florence Leguy.
Du 20 septembre au 15 octobre 2022 au Théâtre Nanterre-Amandiers. Les 20 et 21 octobre 2022 à L’Onde Théâtre - Centre d’art de Vélizy-Villacoublay. Le 8 novembre auThéâtre de Pau.
Crédit photo : Géraldine Aresteanu

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Véronique Hotte

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