Du 1er au 4 mars 2024 au Studio-Théâtre de Vitry.

Rhinocéros d’Eugène Ionesco par Bérangère Vantusso.

Les difficultés de s’opposer aux masses consentantes.

Rhinocéros d'Eugène Ionesco par Bérangère Vantusso.

Rhinocéros est l’avénement d’un mythe : la population de toute une ville se change peu à peu en rhinocéros. Le pachyderme incarne le fanatisme qui « défigure les gens, les déshumanise ». Lorsque seul Béranger résiste à la marée des bêtes féroces, symboles du totalitarisme, s’impose une réflexion sur l’Histoire. Aux bêtes immondes qui, hier comme aujourd’hui, courent sur la planète ici et là, et sans impunité, sans se cacher, et la soumettent, à ces bêtes ainsi, s’opposent encore des héros solitaires qui disent : « Je ne capitule pas. »

Le 1er mars, ont eu lieu les obsèques d’Alexeï Navalny qui ne voulait pas perdre son humanité - un hommage de plusieurs milliers de Russes, longue fils d’attente, silencieuse et surveillée pour un héros contemporain : l’écho de Rhinocéros ne pouvait être plus fort.

«  Rhinocéros est sans doute une pièce antinazie, mais elle est aussi, surtout, une pièce contre les hystéries collectives et les épidémies qui se cachent sous le couvert de la raison et des idées, mais qui n’en sont pas moins de graves maladies collectives dont les idéologies ne sont que les alibis : si l’on s’aperçoit que l’histoire déraisonne, que les mensonges des propagandes sont là pour masquer les contradictions qui existent entre les faits et les idéologies qui les appuient, si l’on jette sur l’actualité un regard lucide, cela suffit pour nous empêcher de succomber aux « raisons » irrationnelles, et pour échapper à tous les vertiges. » (Eugène Ionesco, Préface Rhinocéros, 1964.)

On pourrait se croire dans un magasin Leroy-Merlin pour des travaux de rafraîchissement à faire chez soi, côté cuisine ou salle de bain, avec le choix de petits carreaux blancs en faïence pour habiller les murs privés, même les bureaux, leur donner « un coup de neuf », façon clean retrouvée du métro parisien revisité à l’identique, depuis quelques années.

La pétillante Bérangère Vantusso, directrice du Théâtre Olympia- CDN de Tours, a mis la main à la pâte, s’engageant concrètement, avec la belle présence de ses brillants interprètes, dans la décoration intérieure de sa nouvelle oeuvre scénique Rhinocéros, dont la scénographie judicieuse relève de Cerise Guyon. Et de son côté, Nicolas Doutey qui adapte le texte de l’Académicien, a dépouillé celui-ci de sa théâtralité d’après-guerre.

Jeu de dérèglement, dé-construction et destruction, la manière Lego dont les pièces sont des cubes blancs tous semblables, conçus pour s’imbriquer les uns dans les autres, telles des briques en céramique. Un mur ludique grandeur nature émerveille et étouffe à la fois, s’avançant depuis le lointain jusqu’au bord de scène et réduisant de plus en plus l’abri. Un théâtre d’objet malicieux quand les cubes se font chat, chien, téléphone, porte, lit, que les comédiens manipulent avec naturel et dextérité, marionnettistes inventifs et toniques.

Les comédiens interprètent tout autant des figures de l’absurde que de la raison, avec gaieté et engouement, dansant au son de la musique qui accentue leurs mouvements, les précipite, ou les ralentit, alors qu’ils brandissent leur veste qu’ils décrochent du mur, côté cour, pour la revêtir, avant de la raccrocher plus tard pour se saisir d’une autre veste encore qui les attendait, côté jardin : chorégraphie, danse élégante et amusée, légère et désinvolte, comme les propos échangés.

Des figures libres et sensibles, six acteurs à l’expression naturelle, à la fois détachée et intense, des silhouettes mouvantes et colorées, juvéniles et heureuses d’être là et au monde : Boris Alestchenkoff, Simon Anglès, Thomas Cordeiro, Hugues De la Salle, Tamara Lipszyc, Maika Radigalès livrent leur belle personnalité lucide à travers une incarnation candide et ingénue.

Rhinocéros d’Eugène Ionesco ou comment [tout] piétiner, mise en scène Bérangère Vantusso, adaptation et dramaturgie Nicolas Doutey. Avec Boris Alestchenkoff, Simon Anglès, Thomas Cordeiro, Hugues De la Salle, Tamara Lipszyc, Maika Radigalès. Collaboration artistique Philippe Rodriguez-Jorda, scénographie Cerise Guyon, création Lumière Anne Vaglio, création musicale Antonin Leymarie, costumes Sara Bartesaghi Gallo, aidée de Simona Grassano. Du vendredi 1er mars au lundi 4 mars 2024 - Studio théâtre de Vitry, en partenariat avec le Théâtre Jean Vilar de Vitry. Du 4 au 5 avril 2024- Le Quai CDN Angers. Semaine du 15 au 20 avril 2024 - Théâtre Joliette Scène conventionnée art et création expressions et écritures contemporaines - Marseille.

Crédit photo : Ivan Boccara.

A propos de l'auteur
Véronique Hotte

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook