Rencontre avec Anne-Marie Lazarini et Sylviane Bernard-Gresh
Découvrons Sheridan et ses "Rivaux" !
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- 2 mars 2019
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Naguère, Jean-Marie Villégier nous faisait découvrir des auteurs et des textes oubliés. Cette nécessité d’exploration du répertoire et de mise en cause des diktats de la postérité, peu de metteurs en scène et de directeurs en ont conscience. Anne-Marie Lazarini, qui dirige l’Artistic, aime défendre ceux que les projecteurs ont cessé d’éclairer. A présent, elle remet en lumière Richard Brinsley Sheridan que tous les connaisseurs de la littérature anglaise et irlandaise connaissent de nom pour son Ecole de la médisance mais dont les œuvres ont peu été traduites en français et n’ont pas dû être jouées à Paris depuis un siècle, sauf exceptions universitaires ou amateurs. Nous avons rencontré Anne-Marie Lazarini et Sylviane Bernard-Gresh, la première ayant confié à la seconde la traduction (en collaboration avec Frédérique Lazarini) des Rivaux du glorieux et méconnu Sheridan.
Anne-Marie Lazarini, vous mettez en scène Les Rivaux d’un auteur classique anglais peu familier des Français, Richard Sheridan. Pourquoi cet écrivain est-il méconnu chez nous ?
Anne-Marie Lazarini : Sheridan est le plus grand auteur de théâtre anglais de la seconde moitié du XVIIIe siècle, mais il a eu une carrière atypique. Il a écrit peu de pièces et il est devenu un homme politique. Cela peut expliquer qu’on ne le mette pas au premier plan. J’aime beaucoup le théâtre anglais et cet humour qui n’est pas du tout le nôtre. Je connais les pièces de Sheridan depuis très longtemps et je voulais monter Les Rivaux depuis des années. Ce sera sans doute mon dernier grand spectacle. Faire un spectacle avec dix acteurs, c’est devenu presque impossible.
Les documents de votre théâtre, l’Artistic, présentent Sheridan comme un « Goldoni irlandais ». Etant un auteur du XVIIIe siècle, ne présente-t-il pas de parenté avec Marivaux ou Beaumarchais ?
A.-M. L. Non, il n’a rien de Beaumarchais ou de Marivaux qui va beaucoup plus loin dans la vie mentale. Sheridan, c’est plus léger. Il fait penser à Goldoni par son goût des imbroglios. Le personnage principal des Rivaux, Beverley, se fait passer pour un autre. Il en découle toute une série de confusions.
Sylviane Bernard-Gresh. Il y a beaucoup d’excentricité chez Sheridan. Anne-Marie Lazarini adore cette folie-là !
Résumons donc Les Rivaux.
C’est la première pièce de Sheridan. Il a 24 ans et il s’appuie en partie sur sa vie. A 19 ans, il a enlevé la jeune fille qu’il aimait, une chanteuse, qu’il a épousée aussitôt de façon secrète. La pièce s’appuie en partie sur sa vie romanesque. Dans la ville balnéaire de Bath, le héros, Beverley, capitaine de son état, se déguise en simple soldat pour conquérir la jeune Lydia qui proclame qu’elle n’aimera qu’un pauvre soldat, sans le sou. En conséquence, les imbroglios se multiplient. Beverley fait face à des rivaux mais, en réalité, le vrai rival, c’est lui-même, qui va se retrouver derrière les changements d’identité. Il y a des échos des comédies de Shakespeare. Certains personnages peuvent faire penser au Songe d’une nuit d’été. Mais Sheridan parle de son époque. L’une des héroïnes de la pièce, Mrs Malaprop, est devenue proverbiale, mythique en Angleterre : c’est le type de la femme bien élevée qui ne cesse de faire des fautes. Elle dit des choses comme : « La ponctuation féminine m’empêche de me livrer davantage »…
Cette traduction, quels problèmes posait-elle, Sylviane Bernard-Gresh ?
S. B.-G. Frédérique Lazarini a établi un premier texte, très précis. Ensuite, j’ai cherché à retrouver les différents niveaux de langue en gardant la dynamique. Il fallait trouver un chemin entre la préciosité et un langage oral et direct, être entendu des spectateurs d’aujourd’hui. Il a été aussi nécessaire que toutes les trois, Anne-Marie, Frédérique et moi, nous entendions sur les coupures. Si l’on avait tout gardé, le spectacle durerait quatre heures…
Anne-Marie Lazarini, mettre en scène Sheridan, c’est, pour une Française, s’aventurer dans un monde dont vous n’avez pas toutes les traditions.
A.-M. L. : Je n’ai jamais vu une représentation d’une pièce de Sheridan, sauf sur YouTube un extrait de mise en scène classique, assez fastueuse, par une grande troupe anglaise. Mais il ne s’agissait pas des Rivaux. La difficulté est qu’il y a un grand nombre de scènes, qui sont la plupart du temps très courtes et qui se situent dans des lieux différents. Il faut donc passer vite d’une scène et d’un lieu à l’autre. François Cabanat a conçu comme un espace qui serait traversé par des courants d’air. Il y a très peu de meubles. Les lieux s’identifient à partir d’une série de toiles peintes. Cabanat a travaillé sur trois plans de toile : les lieux extérieurs, les lieux liés à a station de Bath, les lieux qu’on appelle verts (jardin, forêt). Avec cela il faut jouer comme avec les mots qui sont à double sens.
Les dix acteurs réunis appartiennent à l’histoire de votre théâtre, l’Artistic.
A.-M. L. J’ai voulu monter ces Rivaux avec des acteurs qui ont une histoire avec notre théâtre. Presque tous ont joué dans mes spectacles : Philippe Lebas, qui a tenu de grands rôles, Cédric Colas, Charlotte Durand-Raucher, Bernard Malaterre, Alix Bénézech, Willy Maupetit, Sylvie Pascaud, Marc Schapira. Je suis évidemment très heureuse que Catherine Salviat revienne pour le rôle de Mrs Malaprop. Thomas Le Douarec n’avait jamais joué avec moi, mais il a joué dans notre salle. Travailler sur une comédie ne se fait pas en riant mais le répétitions ont eu leur part de drôlerie. Il y a tellement d’excentricité et de grotesque !
Vous dites que c’est sans doute votre dernière mise en scène de cette importance.
A.-M. L. On ne peut imaginer qu’on pourra refaire un spectacle avec dix acteurs. Les finances publiques stagnent, on ne sent plus de volonté politique. Les plannings de répétitions sont devenus complexes à établir car les acteurs doivent accepter d’autres obligations pour faire face à une vie de plus en plus difficile.
Les Rivaux, une comédie de Richard Brinsley Sheridan, traduction et adaptation de Sylviane Bernard-Gresh et Frédérique Lazarini, mise en scène Anne-Marie Lazarini, assistanat de Cyril Givort, décor, peintures et lumières de François Cabanat, costumes de Dominique Bourde, musique de Samuel Sené, avec Alix Bénézech, Cédric Colas, Charlotte Durand-Raucher, Philippe Lebas, Thomas Le Douarec, Bernard Malaterre, Willy Maupetit, Sylvie Pascaud, Catherine Salviat, Marc Schapira.
Artistic Théâtre 45 bis, rue Richard Lenoir 75011 Paris, 01 43 56 38 32, à partir du 5 mars.
Photo Bruno Perroud. Anne-Marie Lazarini.