Ranger de Pascal Rambert

Seul en scène, Jacques Weber énonce une déchirante déclaration d’amour post-mortem.

Ranger de Pascal Rambert

A comédien unique, scène exceptionnelle. Jamais on ne vit la scène plutôt austère du Théâtre Bouffes du Nord aussi richement dotée. Une grande chambre d’hôtel de luxe, d’un blanc éclatant, occupe tout l’espace. Un homme y fait son entrée et malgré son imposante stature, il a l’air tout petit. C’est Jacques Weber dans le rôle d’un vieil écrivain qui s’apprête à vivre ses derniers instants comme il l’a décidé. Avec un texte écrit pour lui par Pascal Rambert.

De sa voix cassée si caractéristique, le comédien parle à (et de) son amour perdu. Une déclaration d’amour post-mortem déchirante pour sa défunte épouse avec qui il a partagé plus d’un demi-siècle. Au compte-goutte, il va distiller les détails de cette vie de couple tout au long de ce seul-en-scène de plus d’une heure. Texte plutôt surprenant de la part de Pascal Rambert qui, depuis ses débuts avec Clôture de l’amour (2011), s’est plus attaché aux déchirements du couple qu’à son exaltation.

Le grand saut

Le « ranger » qui fait le titre de la pièce est donc l’objectif d’un homme qui a décidé de mettre de l’ordre dans ses affaires et dans sa vie avant d’y porter un terme. Une impérieuse nécessité à laquelle il se plie au sortir d’une fastidieuse réception qui a été donnée pour lui dans un hôtel de Hong-Kong où on lui a décerné un prix. Pourvu d’une bonne dose d’alcool qu’il boit à même la bouteille et de la quantité de cachets et de cocaïne nécessaires pour faire le grand saut, il s’installe devant la photo de sa femme et commence son soliloque.

Pour ce qui est de ranger ses affaires au sens matériel du terme, c’est facile, il y a des classeurs pour cela où sont consignés tous les dossiers bancaires et autres qu’il exhibe fièrement avec le sentiment du devoir accompli. Pour ce qui est de sa vie, c’est une autre histoire. Car entre les souvenirs de leur vie commune et ceux de la sienne propre, septuagénaire qui se désole de ne plus attirer le regard des femmes, c’est le désordre qui s’installe. Très vite, le besoin de bouger se fait sentir, d’esquisser quelques pas de danse dans la remémoration d’une vie de couple rien moins que rangée entre artistes qui partageaient le même goût pour la drogue et l’alcool.

Puis vient le temps de s’allonger, de faire le constat qu’il n’y a pas de place pour les regrets, le monde à quitter étant dans un état bien pire que lorsqu’il y est entré. Émouvant de bout en bout, Jacques Weber se confond avec son personnage, réussissant même à faire revivre les deux êtres bien vivants qu’ils étaient et qui vont se retrouver dans la mort.

Photo Louise Quignon

Ranger de Pascal Rambert, jusqu’au 18 février, à 21h au Théâtre des Bouffes du Nord, du mardi au samedi, dimanche à 17h, www.bouffesdunord.com
Tournée : Le 24 février à L’Octogone, Pully (Suisse) ; le 18 mars à L’Astrada ; Marciac, les 21 et 22 mars au Théâtre Saint-Louis de Pau ; du 28 au 31 mars à la Comédie de Béthune ; les 5 et 6 avril 2023 au Théâtre Municipal de Villefranche ; le 13 avril 2023 au Canal de Redon.

A noter, toujours aux Bouffes du Nord, Perdre son sac, autre monologue de Pascal Rambert, pour et avec la comédienne Lyna Khoudri, à 19h jusqu’au 18 février.

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de...

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