Rameau, un service funèbre

Skip Sempé saisit l’occasion de l’anniversaire de la mort de Rameau pour reconstituer le service funèbre qui fut célébré en 1764 à la mémoire du compositeur.

Rameau, un service funèbre

Jean-Philippe Rameau est mort le 12 septembre 1764. A quelques jours près, Skip Sempé a eu l’heureuse idée de reconstituer deux siècles et demi plus tard le service funèbre du prodigue auteur des Boréades, en choisissant le lieu précis où ce service fut célébré le 27 septembre suivant : l’Oratoire du Louvre, lieu à l’acoustique légèrement réverbérante, dans lequel les cors et les bassons semblent tournoyer de concert avant que l’oreille, peu à peu accoutumée, perçoive toutes les subtilités des timbres et des harmonies.

Pour les contemporains, les funérailles de Rameau furent l’occasion d’entendre une version nouvelle de la Messe des morts de Jean Gilles (1668-1705) composée en 1697, créée en 1705 à Aix-en-Provence lors des funérailles du compositeur et jouée à de nombreuses reprises au cours du XVIIIe siècle, à l’occasion notamment des obsèques de Campra (1744) et de Louis XV (1774). Lors des funérailles de Rameau, des pages extraites de plusieurs opéras de ce dernier furent ajoutées à la messe de Gilles, celle-ci ayant subi au fil du temps des altérations telles qu’on les pratiquait alors, à une époque où le souci musicologique n’était pas ce qu’il est aujourd’hui. Skip Sempé, voulant rendre hommage à Rameau autant qu’à Gilles, a ainsi choisi d’interpréter la Messe des morts telle qu’elle fut jouée en 1764, en y ajoutant des extraits instrumentaux de Dardanus, Castor et Pollux (ah, « Tristes apprêts » chanté par un hautbois !) et Zoroastre qui s’intercalent avec bonheur entre les différentes parties de la messe.

Ne guettez pas le Dies irae

On ne cherchera pas, dans la Messe des morts de Gilles, de tableau spectaculaire du Jugement dernier. Point de trompettes, point de réveil des morts, mais une poignante déploration, d’une austérité qui rappelle que cette musique fut composée à l’époque de Louis XIV. L’ajout de quelques pages de Rameau, notamment le très sensuel « Rondeau tendre » de Dardanus (qui évoque le Sommeil éternel du musicien), pourrait faire hiatus, mais la réserve d’un Gilles, certes réinstrumenté par Rebel et Francœur pour les besoins du Service funèbre de 1764, et les couleurs d’un Rameau se fondent ici harmonieusement.

Skip Sempé dirige ses interprètes (Collegium vocale Gent, Capriccio Stravagante les 24 violons) avec la rigueur et la souplesse qui conviennent ; ses timbales, notamment au début, donnent du tragique à la célébration, et les quatre solistes apportent leur part de théâtre à la musique, mais un théâtre recueilli, sans démonstration. Plus sollicités que Robert Getchell, dont la voix de haute-contre a peu l’occasion de s’épanouir, Fernando Guimaraes et Lisandro Abadie se partagent les pages les plus nombreuses avec Judith van Wanroij dont on avait pu apprécier les qualités lors de la soirée du 27 novembre dernier à Versailles, mémorable à plus d’un titre, au cours de laquelle furent ressuscitées Les Danaïdes de Salieri.

Rameau face à Skip Sempé (Marco Borggrave/dr).

Gilles : Messe des morts - Rameau : extraits de Dardanus, Castor et Pollux et Zoroastre. Judith van Wanroij, dessus ; Robert Getchell, haute-contre ; Fernando Guimaraes, taille ; Lisandro Abadie, basse ; Collegium vocale Gent, Capriccio Stravagante les 24 violons, dir. Skip Sempe. Mercredi 17 septembre 2014, oratoire du Louvre (ce concert est redonné le 18 septembre).
Viennent de paraître : Memorandum XXI, un luxueux livre-disque comprenant cinq CD en forme d’anthologie des enregistrements de Skip Sempé, et de nombreux essais sur l’interprétation de la musique qu’on appelle baroque ; et le Service funèbre de Rameau enregistré par Skip Sempé à la Sint Walburgakerk de Bruges en mai 2014 (1 CD Terpsichore).

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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