Portrait, de Mehdi Kerkouche
Neuf interprètes en ébullition donnent vie à un portrait de famille dansé et survitaminé
Ils sont neuf et tous différents. Toujours circonscrits dans un cadre défini sur le plateau en noir et blanc, avec des costumes qui conjuguent toutes les nuances de gris, ils affirment pas à pas leur individualité au sein d’un groupe, d’une chaîne en mouvement perpétuel. Cela s’appelle une famille recomposée avec ses différences de style et de génération (même si la majorité est très jeune). Ils viennent des horizons les plus variés de la danse contemporaine, du hip-hop, de la break, du cirque, du cabaret et constituent une mosaïque bigarrée mais indissoluble. Au centre apparait la figure intermittente de la mère aux cheveux blancs et aux gestes amples, rassembleurs. C’est la sexagénaire Amy Swanson, légende de la danse, qui dans le sillage d’Isadora Duncan, tente de transmettre sa puissance apaisante aux plus jeunes en ébullition.
À 37 ans, et trois pièces seulement à son actif (dont une pour l’Opéra de Paris), Mehdi Kerkouche figure avec sa compagnie EMKA (fondée en 2017) comme l’étoile montante de la danse contemporaine. Adoubé par les réseaux sociaux avec ses marathons « On danse chez vous » lors du premier confinement, il vient d’être nommé à la tête du Centre chorégraphique national de Créteil.
Libérer les élans du corps
Avec Portrait, il poursuit ses recherches sur le collectif. Et explore les différents types de liens qui nous enserrent, ceux qu’on nous impose, ceux que l’on se crée à l’intérieur d’un cadre. Sans oublier d’interroger la nature dudit cadre. Il est évidemment question de la famille et de la filiation, un lien que l’on ne choisit pas et dans lequel on doit malgré tout coexister. Comment développer sa singularité dans ce collectif à la ville comme sur la scène et libérer le mouvement et les élans du corps emprisonné dans ce cadre prédéfini ?
Créée en janvier dernier au Festival Suresnes Cités Danse, là où il a grandi, cette vie de famille survoltée se découpe en deux grandes séquences assez contrastées. Le premier temps est plutôt turbulent, débordant du cadre, scandé par les synthétiseurs de Lucie Antunes. Le mouvement perpétuel de la chaîne humaine s’interrompt par à-coups en arrêt sur image avec effet très graphique. Les embrassades et les crises de rire se retournent soudain en prises de bec et empoignades. Le crescendo monte jusqu’à ce que le danseur Matteo Gheza entame une saisissante rotation de derviche qui exorcise la dissension, la dissonance.
Plus surprenante, la deuxième partie voit la danseuse-mère venue d’Amérique ancrer le parcours de sa famille sur quatre générations. Et d’évoquer en paroles, le temps de sa jeunesse, celui des sixties rutilantes. Changement d’époque et de costumes fissa et la danse de se faire disco sur Curtains, d’Elton John. L’énergie ne faiblit pas dans cette famille singulière qui malgré ses débordements, rentre si bien dans le cadre. Avec son animal totémique, le chat, garant de la paix du foyer.
Portrait, de Mehdi Kerkouche, à La Scala jusqu’au 5 novembre, https://lascala-paris.fr/
Chorégraphie : Mehdi Kerkouche. Assistante à la chorégraphie : Alexandra Trovato. Musique : Lucie Antunes. Lumières : Judith Leray. Scénographie : Mehdi Kerkouche et Judith Leray. Costumes : Guillaume Boulez. Maquillages : Sabine Leib.
Avec Micheline Desguin, Matteo Gheza, Jaouen Gouevic, Lisa Ingrand Loustau, Shirwann Jeammes, Sacha Neel, Amy Swanson, Kilian Vernin, Titouan Wiener Durupt
Photo Julien Benhamou