Poquelin II de et par le tg STAN
Le collectif flamand tg STAN enchaîne deux pièces de Molière avec une énergie et un abattage bluffants.
Et de deux. Après Poquelin (tout court) présenté en 2004 histoire d’alléger le climat de la guerre en Irak, le collectif des flamands d’Anvers présente Poquelin II, au Théâtre de la Bastille, qui l’a découvert à Paris et l’accueille régulièrement, cette fois dans le cadre du Festival d’automne. En choisissant de nommer l’un des plus grands auteurs du patrimoine français par son patronyme Poquelin (et non son pseudonyme Molière), le collectif veut marquer sa familiarité avec l’homme de théâtre qui était aussi et avant tout comédien. Et garde toujours l’objectif de faire rire dans la période anxiogène que nous visons. Mais alors que le premier Poquelin, choix de farces, était en flamand, le TG STAN joue désormais dans la langue nommée justement « langue de Molière ». En se gardant toujours comme de la peste de la déclamation, de la sacralisation du texte.
En trois heures sans entracte, la troupe enchaine à un rythme infernal deux gros « morceaux », à savoir L’Avare et Le Bourgeois gentilhomme. Soit deux comédies avec un personnage principal au comportement extrême, ridicule, certes, mais victime de ses passions, et par là-même attachant, donc touchant à l’universel.
Ce qui frappe, d’abord, c’est l’accent flamand, énorme, que loin de chercher à corriger les comédiens exploitent au contraire pour s’approcher le plus possible de leur idéal de naturel. Si bien qu’on a l’impression d’être dans l’improvisation permanente. Avec quelques apartés, des clins d’œil au public et autres jeux de mots, mais sans abuser. Et si un acteur a un trou de mémoire, ce n’est pas un drame, l’un ou l’autre des comédiens est toujours à proximité avec le (très gros) livre du texte sur les genoux pour lui souffler la réplique. Parfois, on a même l’impression que ce trou est joué, c’est dire si la troupe pousse loin son exigence.
Sept acteurs pour vingt-six personnages
Ils ne sont que sept acteurs (deux femmes et cinq hommes) pour interpréter les vingt-six personnages (si l’on a bien compté) que totalisent les deux pièces. Cela implique nécessairement que chacun interprète plusieurs rôles, et même, au besoin, de changer de sexe au cours de la même pièce. Il suffit pour cela d’un ajout (minime) dans les costumes, lesquels sont réduits à leur simple expression grotesque, et le tour est joué. Et quand vraiment, un personnage manque, une simple harde brandie face à son interlocuteur suffit à le représenter.
L’esprit du théâtre de tréteaux que Molière pratiquait à ses débuts est ici respecté à la lettre : la scène est une estrade de bois absolument nue, surélevée par rapport au public distribué sur les trois côtés, immédiatement en contrebas, avec des escaliers de part et d’autres qui permettent aux acteurs, qui ne sont jamais bien loin de faire leurs entrées et sorties. Et pour tout accessoire quelques tabourets qui arrivent comme par magie sur la scène. Dans la deuxième partie, celle du Bourgeois gentilhomme, un rideau rouge est hissé sur le fond de scène qui permet de donner un cadre majestueux à la turquerie bouffonne qui prend place, et même de servir de coiffe au prétendu fils du Grand Turc ! Mais pour le grand dîner donné par Monsieur Jourdain, c’est une grande bassine de victuailles, factices évidemment, qui sont déversées sur scène.
Respect aussi à la lettre des deux pièces, même si quelques coupes sont opérées deci-delà, dans le but de maintenir un rythme soutenu. Des coupes sans dommages, particulièrement dans L’Avare où l’invraisemblable coup de théâtre conduisant au happy end final est expédié en trois coups de cuiller à pot. Et si les sujets « graves » sont un peu escamotés (rapports parents/enfants, hommes/femmes, maîtres/domestiques), on y gagne en légèreté.
Il n’y a pas de seconds rôles dans cette galerie de portraits désopilants et tous les acteurs se démènent comme de beaux diables sans pour autant donner l’impression de l’agitation gratuite. Il faut néanmoins saluer la performance particulière de Damiaan De Schrijver qui joue Maître Jacques, cuisinier et cocher d’Harpagon, dans L’Avare et Monsieur Jourdain dans Le Bourgeois Gentihomme. Avec son art consommé de la fausse naïveté, il est absolument tordant, notamment dans la séance de prononciation des voyelles avec le maître de philosophie : dans sa bouche celles-ci deviennent une cascade d’onomatopées dignes des surréalistes, donc très modernes.
Au bout de trois heures de spectacle sans temps morts, on ressort bluffé par l’incroyable énergie de la troupe. Et on espère vivement un Poquelin III.
Poquelin II, Théâtre de la Bastille jusqu’au 19 décembre, www.theatre-bastille.com
De et avec Jan Bijvoet, Jolente De Keersmaeker, Damiaan De Schrijver, Els Dottermans, Bert Haelvoet, Willy Thomas et Stijn Van Opstal.
Lumières : Thomas Walgrave. Costumes : Inge Büscher. Production et décors : tg STAN