A La Scala jusqu’au 26 octobre
Phèdre, de Racine, par Muriel Mayette-Holtz
Introduite par un slameur, la mise en scène de "Phèdre" tend à toucher le public moderne mais n’y parvient pas toujours

Autrefois on appelait cela un aède ou un coryphée. Aujourd’hui cela s’appelle un slameur. Qu’importe la dénomination la fonction est la même : il s’agit de retracer pour le public le cadre d’une action tragique afin de l’intéresser et de l’émouvoir. C’est donc par le formidable chant du slameur Jacky Ido que s’ouvre La Phèdre mise en scène par Muriel Mayette-Holtz. Le poème sans musique qu’il a composé tend à briser les murs du théâtre antique et classique et à rendre toujours actuelle la tragédie mythologique de Racine (1667), objet d’enseignement et de culte.
Le slameur reviendra sur l’avant-scène à plusieurs reprises au fil du spectacle pour jouer le rôle du gouverneur Théramène, le porteur des mauvaises nouvelles qui se jouent hors-champ. Il tentera même de faire participer le public en l’entraînant à répéter derrière lui le mot-fétiche de Racine : hélas. Mais les spectateurs d’aujourd’hui, cantonnés au théâtre dans une attitude passive, ne se laissent, hélas !, pas facilement embarquer, contrairement au public antique qui ne demandait que cela. C’est un peu la limite du projet de Muriel Mayette qui pèche par naïveté.
Cette Phèdre raccourcie mais pas défigurée se concentre sur le sujet principal de l’action en éliminant les personnages et actions secondaires. Ce sujet c’est la passion dévorante qui consume – littéralement – Phèdre, la jeune épouse du volage roi d’Athènes, Thésée, qu’on croit disparu à la guerre, pour le fils de celui-ci, le prince Hippolyte, né d’une précédente union avec une Amazone. Une passion incestueuse et taboue, exacerbée tout au long du spectacle, qui aboutira à un déchainement de violence meurtrière au finale sans que jamais n’apparaisse la moindre goutte de sang.
Brasier intérieur
En adaptant pour la scène de La Scala sa mise en scène créée l’an dernier pour son premier festival de tragédies dans l’amphithéâtre de Cimiez, Muriel Mayette-Holtz, ancienne administratrice de la Comédie Française, passe du grandiose extérieur de pierre à un intérieur confiné, une scène confortable mais étouffante, où brûle un feu de cheminée, symbole on ne peut plus parlant du brasier intérieur de Phèdre. Dans ce salon aristocratique tendu de velours rouge, décoré de tableaux et meublé de quelques fauteuils, les personnages en costumes somptueux du XVIIème siècle se débattent contre le destin qui depuis leurs plus lointains ascendants s’acharne sur eux. Les éclairages très subtils créent de sublimes clairs-obscurs dignes du Caravage, notamment la scène finale ou Phèdre se meurt, couchée au sol devant la cheminée.
Entorse aux sacro-saintes règles du théâtre classique : les personnages n’ont pas toujours la décence requise, et c’est tant mieux. Ainsi Phèdre jouée par la jeune Eve Pereur, une protégée de Muriel Mayotte, se roule par terre en apprenant qu’elle a une rivale dans le cœur Hippolyte : « Ils s’aiment ! », exhale-t-elle, consciente de sa défaite. Contrairement à une pratique tenace qui fait jouer le rôle de Phèdre par des actrices aguerries, calibre Rachel ou Sarah Bernhardt, Eve Pereur a bien l’âge de son rôle de jeune reine, mariée de force à Thésée, qui découvre l’amour pour la première fois.
Aiguillonnée par sa perverse nourrice Oenone (jouée de manière un peu trop guindée par l’acteur Nicolas Maury), elle cède à la puissance d’un désir pour son beau-fils (joué par Augustin Bouchacourt un rien insipide) désir qu’elle sait interdit. Ce rôle autodestructeur autant qu’homicide pour l’innocent Hippolyte, la conduit inéluctablement au dégoût de soi (« Je m’abhorre encore plus que tu ne me détestes », souffle-t-elle). Dans cette descente aux enfers, l’actrice fait montre d’un engagement constant, entaché par une diction pas toujours très claire des alexandrins. Défaut de génération qui se corrigera sans doute avec le temps.
Mais il faut attendre l’entrée en scène de Charles Berling dans le rôle de Thésée pour que la tragédie prenne corps et que l’acmé en soit atteinte. Lâchant la bride à sa colère d’époux et de père bafoué, renversant les chaises sur son passage, l’acteur n’en maîtrise pas moins avec brio son jeu et ses alexandrins. Et c’est dans l’expression de sa douleur que le spectacle parvient véritablement à son but : toucher et émouvoir le public.
Phèdre, de Jean Racine, à la Scala jusqu’au 26 octobre, https://lascala-paris.fr/
Mise en scène : Muriel Mayette-Holtz. Scénographie et costumes : Rudy Sabounghi. Lumière : François Thouret. Musique : Cyril Giroux. Création slam : Jacky Ido
Avec Charles Berling, Augustin Bouchacourt, Jacky Ido, Nicolas Maury, Ève Pereur.
Photo Virginie Lançon



