Phèdre ! de François Gremaud
Racine à la peine
Le Suisse François Gremaud a écrit et mis en scène ce spectacle en 2017, interprété par Romain Daroles, repris au Festival d’Avignon 2019.
Un conférencier parle de la tragédie de Phèdre de Jean Racine dans le cadre de la comédie Phèdre ! de François Gremaud. Le point d’exclamation renseigne sur le point de vue, l’intention. En effet, au XVIIe siècle il était dit point d’admiration, d’étonnement, comme on nous l’explique. Ce seul en scène est donc présenté comme un joyeux exercice destiné à communiquer au spectateur la passion de l’orateur pour cette histoire de passion triste. Par un de ces méchants tours joués par les dieux aux mortels, c’est Vénus qui, ayant maudit toute la lignée d’Hélios le soleil et aïeul de Phèdre pour se venger d’un affront qu’il lui aurait fait, lui inspire cet amour incestueux et funeste pour Hippolyte, le fils de son époux Thésée.
Partant du principe que les élèves découvrent le théâtre classique à travers la lecture des textes, source d’ennui définitif, Gremaud a opté pour la pédagogie active et ludique. Mais il ne fait pas dans le détail. Le propos littéraire et sa contextualisation sont roulés dans la mauvaise farine de jeux de mots et de références faciles à la chanson populaire (Alexandrin, Alexandrie, Alexandra) dispensés par un clown, talentueux mais clown quand même. L’excellent Romain Daroles n’est pas en cause. Il se démène formidablement pour conduire sa mission : expliquer la généalogie mythologique des personnages, exposer les règles du théâtre classique et raconter la pièce acte par acte, en faisant entendre çà et là la voix de Racine. Le texte du spectacle fait office de couteau suisse pour caractériser les personnages, figurant la couronne de la reine, la barbe de Théramène, etc., dans un procédé forcément très répétitif.
L’admiration flirte avec la dérision, trop. Quel que soit le talent du comédien, il lui est impossible de sortir de son rôle d’amuseur pour dire les vers de Racine avec la subtilité requise par la beauté de la langue. Cette incompatibilité nuit fortement au propos, et le résultat s’avère contre-productif. Peut-être aurait-il fallu n’user des citations qu’avec parcimonie et des blagues à deux balles avec modération. Il n’y a parfois qu’un pas de la pédagogie à la démagogie. Penser la confidente de Phèdre, Oenone, comme une marseillaise caricaturale au franc parler qui commence toutes ses phrases par « peuchère » ne paraît pas indispensable.
Si on rit beaucoup c’est grâce à Romain Daroles qui est très drôle, très expressif, mais un malaise persistant laisse penser qu’il y avait peut-être une manière plus fine d’initier le jeune public au théâtre de Racine de manière vivante. Ce n’est pas que certaines œuvres seraient intouchables au risque de se rendre coupable d’un crime de lèse-littérature. On a vu certains artistes s’employer à culbuter des œuvres classiques cul par-dessus tête avec grand talent.
Phèdre ! de François Gremaud d’après Jean Racine. Avec Romain Daroles. Lumières, Stéphane Gattoni. A Paris, au Théâtre de la Bastille, jusqu’au 31 mars 2022. Durée : 1h45.
Résa : 01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com
© Loan Nguyen