Critique – Opéra-Classique

PENTHESILEA de Pascal Dusapin

Les femmes, l’amour, l’enfer de la guerre dans l’envoûtement Dusapin

PENTHESILEA de Pascal Dusapin

Penthésilée, reine des Amazones, femme guerrière, femme amoureuse, femme carnassière ! De cette figure incandescente de la mythologie grecque, Heinrich von Kleist tira en 1807 une tragédie de braise qui secoua les bien-pensants de son temps. En notre début de XXIème siècle, Pascal Dusapin vient d’en faire un opéra qui durant 90 minutes cloue le spectateur à son fauteuil, submergé par sa musique, ses images, ses interprètes.

La création a eu lieu à la Monnaie de Bruxelles, commanditaire de l’œuvre en coproduction avec l’Opéra National du Rhin. Pascal Dusapin est un familier de cette maison d’opéra où il créait en 1992 l’une de ses toutes premières œuvres lyriques Medeamaterial sur un texte de Heiner Müller, incursion musicale dans la tête et le corps de la plus célèbre mère infanticide. Déjà une histoire de femme hors norme.

La pièce de Kleist, réputée injouable, a pourtant connu une sorte d’apogée théâtrale à Strasbourg en 1981 quand André Engel, metteur en scène iconoclaste et inspiré, l’expédia dans les glacis et les brouillards polaires de Nicky Rieti qui recouvraient tout l’espace de l’orchestre. Le public était concentré dans les balcons. Anne Alvaro incarnait l’amazone insoumise. Cette Penthésilée i reste inoubliable.

L’opéra de Dusapin sur le livret resserré et tranchant qu’il a élaboré avec la dramaturge allemande Beate Haeckl ira peut-être rejoindre le panthéon de ces instants d’exception.

Sensualité, rages et demi-teintes

Noir sur noir. Dans la fosse, une harpe égrène quelques notes orphelines. Un grondement léger, venu d’ailleurs leur succède. Dans la pénombre des corps en reptation rampent sur le sol. Les peaux de bêtes suspendues, les images mouvantes de la plasticienne flamande Berlinde De Bruyckere plantent le décor de la passion dévastatrice qui, au cœur de la guerre de Troie, lie l’amazone belliqueuse à son ennemi Achille. Dévorée par l’amour interdit qu’il lui inspire, enflammée de désir, Penthésilée laissera s’exprimer sa chair et ses sentiments avant de se ressaisir et d’assassiner son amant. Elle en dévorera les restes avant de se donner la mort.

Sensualité, rages, demi-teintes de mélancolie sous-tendent la musique de Dusapin. Un prologue, un épilogue cernent onze scènes flash s’enchaînant sur un rituel d’amour et de mort, Eros et Thanatos unis pour l’éternité. Dusapin sait l’art de dessiner en sons des personnages, il leur brode des arabesques vocales toujours en prise avec leur réalité. Sa musique exprime leurs trajectoires à la façon des peintres qui au-delà des formes font flamber les âmes. Les modes s’interpénètrent, mélodies et dissonances, cuivres rageurs, cordes plaintives et bruits d’eau en sonorités électroniques préenregistrées bâtissent un ensemble à la fois savant et palpable comme les rires soudains d’Achille.

Pierre Audi, ici délicat directeur d’acteurs, pilote sa mise en scène en traversée visuelle des harmonies des décors. Noirs ! Tous les noirs en camaïeux de gris et de brumes, où les peaux des bêtes dépecées forment des rideaux et des matelas, relayées entre deux scènes par des projections où des pelletées de sables, des gouttes d’eau et de larmes alternent avec des nappes et couvertures pliées et dépliées.

Hallucinée, hallucinante

Hallucinée, hallucinante la soprano Natasha Petrinsky est entrée dans Penthesilea comme dans une seconde peau, ombrant la clarté de sa voix dans l’émotion, la faisant jaillir dans les colères et les désespérances. Le ténor Georg qui connait bien le répertoire de Dusapin, lui tient tête en Achille érotique et cynique, malheureux d’aimer jusqu’à en mourir. Werner Van Mechelen/Ulysse (Odysseus) père et frère attentif, touche par sa juste humanité, Prothoe la confidente de la reine, sa tendre amie trouve en Marisol Montalvo grâce et vigilance, Eve-Maud Hubeaux, contralto royale fait de la grande Prêtresse une figure noble et singulièrement jeune.

Franck Ollu, autre habitué de Dusapin, mène avec la dextérité de ses mains, de ses doigts l’Orchestre symphonique de La Monnaie dans les méandres clair-obscur de cette partition et en tire toutes les sombres lumières.

Penthesilea de Pascal Dusapin, livret de Pascal Dusapin et Beate Haeckl d’après Heinrich von Kleist, orchestre symphonique et chœurs de la Monnaie, direction Franck Ollu, chef de chœur Martini Faggiani, mise en scène Pierre Audi, décors Berlinde De Bruyckere, costumes Wojceiech Dziedzic, lumières Jean Kalman, électro-acoustique Thierry Coduys, vidéo Mirjam Devriendt, dramaturgie Krystian Lada. Avec Natascha Petrinsky, Marisol Montalvo, Georg Nigl, Werner Van Mechelen, Eve-Maud Hubeaux, Wiard Wiholt, Yaroslava Kozina, Marta Beretta.

Bruxelles, Théâtre Royal de la Monnaie, les 2, 4, 7, 9, 14, 16, 18 avril à 20h, le 12 avril à 15h.

+32 2 229 12 11 – www.lamonnaie.be

Photos Mirjam Devriendt

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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