Les Brigands d’Offenbach au Palais Garnier
Offenbach cuir et queer
Barrie Kosky recycle dans la bonne humeur les clichés de l’univers des drag queens au service des inoffensifs Brigands d’Offenbach.
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- 25 septembre
- Critiques
- Opéra & Classique
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LE SPECTATEUR QUI SE REND AU PALAIS GARNIER pour se faire une idée sur Les Brigands (1869) d’Offenbach risque d’être déçu. Celui qui espère assister à un spectacle débridé sera au contraire comblé. Celui qu’a imaginé Barrie Kosky occupe en effet la scène dans une espèce de frénésie joyeuse qui tient beaucoup aux costumes de Victoria Behr et à la chorégraphie d’Otto Pichler, mais qui réduit l’intrigue et surtout la musique des Brigands à une espèce de faire-valoir.
En deux mots, l’histoire imaginée par Meilhac et Halévy met en scène un chef de brigands, Falsacappa, et sa fille Fiorella, décidés à faire main basse sur la dot prévue lors du mariage de la princesse de Grenade et du prince de Mantoue. Le tout avec la complicité d’un banquier converti, Fragoletto, et du personnel d’un hôtel un peu moins volontaire. Le premier acte est celui qui souffre le plus, musicalement, tant il est pauvre en moments dignes de mémoire, si l’on excepte peut-être l’air de Fiorella « Au chapeau je porte une aigrette ». Les deux autres, au milieu des flonflons habituels, sont plus enlevés, avec notamment un trio assez développé au II, qui réunit Falsacappa, Pietro et Fragoletto déguisés en marmitons, et le chœur des carabiniers « qui arrivent toujours trop tard » (le capitaine Haddock y fait mention dans Les Bijoux de la Castafiore).
Fragoletto avant tout
Mais l’animation, les cris, les rires, les onomatopées, les allées et venues des danseurs sont tels, que Stefano Montanari a bien du mal à faire surnager l’orchestre de l’Opéra, cependant que le chœur, lui, a tout le loisir de chanter dans l’euphorie (c’est l’édition critique de Jean-Christophe Keck qui est utilisée ici). Quant aux solistes, ils ne se font guère entendre et comprendre, sauf Mathias Vidal (le prince de Mantoue), l’impeccable Yann Beuron (le baron de Campotasso), qui s’est fait trop rare ces dernières saisons, et surtout Antoinette Dennefeld (Fragoletto), qui à elle seule donne sa dignité musicale au spectacle, grâce à une projection soignée et un jeu en parfaite adéquation avec ses talents de chanteuse.
Marie Perbost (Fiorella) en revanche, Philippe Talbot (le comte de Gloria-Cassis) et quelques autres, semblent perdus sur la scène du Palais Garnier. Laurent Naouri prête de bon cœur sa voix au chef grotesque des carabiniers, et les nombreux petits rôles se fondent dans l’incessante agitation du spectacle. Reste Marcel Beekman (Falsacappa), qui a été naguère une irrésistible Platée mais qui, ici, travesti et maquillé à la manière de Divine dans le film Pink Flamingos (1972 !) de John Waters, nous paraît vocalement fatigué, même s’il maîtrise une technique qui lui permet toutes les facéties, toutes les parodies.
Impertinent comme il faut
On ajoutera, pour expliquer combien Les Brigands sont ici un prétexte, que les dialogues ont été réécrits avec force allusions pataudes à l’actualité, ce qui, mêlé aux incessantes interjections (parfois drôles) qui viennent ponctuer le discours, ajoute au joyeux tohu-bohu. Au troisième acte, le Caissier, devenu ici Ministre du budget, est incarné par la comédienne Sandrine Sarroche (tout à coup amplifiée, on se demande bien pourquoi) qui nous livre un monologue en alexandrins de son cru, lui aussi saturé d’inévitables clins d’œil à des péripéties récentes (le Palais Barnier !), et que ponctue un air chanté vaille que vaille.
Ces Brigands sont avant tout, on l’a dit, ceux de Barrie Kosky. Qui ne lésine sur rien, sauf sur le décor, unique, fait de colonnes et de portiques gris façon Second Empire, lieu neutre idéal pour qu’on puisse apprécier les costumes, les perruques, les maquillages, les accessoires. Sans oublier, au moment de l’arrivée de la cour espagnole, une espèce de tableau imité de Velasquez qui produit un spectaculaire effet. Par la débauche de couleurs, les gags et les références, on est ici un peu chez Olivier Py, un peu dans la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques selon Thomas Jolly, un peu dans une gay pride, le tout en compagnie de danseurs survoltés, dans un spectacle où les genres sont turbulés, mais dont l’impertinence attendue correspond à ce qui se fait habituellement aujourd’hui.
Comme l’écrit doctement Capucine Amalvy dans le programme de salle, « en oscillant entre les binarités, l’œuvre tord les représentations essentialistes », car il s’agit, n’est-ce pas, de « penser le multiple, inviter le trouble à la table de la pureté formelle, refuser la polarisation, se jouer de sa rigidité apparente, nourrir le creuset de l’hybridité, opposer le graduel à la dichotomie, subvertir les hiérarchies et leurs modalités : les travestissements qu’opère Offenbach sont polymorphes […], avec toujours comme identité profonde celle d’ériger le multiple en noyau matriciel. »
On n’est pas surpris, mais on peut se laisser entraîner par le sens du rythme de Barrie Kosky et le gaillard charivari qu’il réussit à installer sur le plateau.
Illustrations : Marcel Beekman en prêtresse ; l’arrivée des Espagnols. Photos Agathe Poupeney
Offenbach : Les Brigands. Avec Marcel Beekman (Falsacappa), Marie Perbost (Fiorella), Antoinette Dennefeld (Fragoletto), Yann Beuron (le baron de Campotasso), Laurent Naouri (le chef des carabiniers), Mathias Vidal (le prince de Mantoue), Sandrine Sarroche (Antonio), Philippe Talbot (le comte de Gloria-Cassis), Adriana Bignagni Lesca (la princesse de Grenade), Flore Royer (Adolphe de Valladolid), Luis-Felipe Sousa (le Précepteur), Leonardo Cortellazzi (Carmagnola), Éric Huchet (Domino), Franck Leguérinel (Barbavano), Rodolphe Briand (Pietro), Ilanah Lobel-Torres (Zerlina), Clara Guillon (Fiammetta), Maria Warenberg (Bianca), Marine Chagnon (Cicinella), Doris Lamprecht (la Marquise), Helene Schneiderman (la Duchesse), Manon Barthélémy (Sangrietta/Pipa), Rachella Kingswijk (Tortilla), Cécile L’Heureux (Burratina), Corinne Martin (Castagnetta/Pipetta), Victorien Bonnet (Pizzaiolo), Nicolas Jean-Brianchon (Flamenco), Jules Robin (Zucchini/Pipo), Hédi Tarkani (Siestasubito), Sandrine Sarroche (comédienne : la ministre du budget) ; Guillemette Buffet, Tidgy Château, Maïté Dugenetay, Loïc Faquet, Léa Gibert, Anna Konopska, Anne-Sophie Loustalot, Prince Mihai, Chloé Moynet, Maxime Pannetrat, Antoine Salle, Noa Gabriel Siluvangi (danseurs).
Mise en scène : Barrie Kosky ; décors : Rufus Didwiszus ; costumes : Victoria Behr ; lumières : Ulrich Eh ; chorégraphie : Otto Pichler. Chœur (dir. Ching-Lien Wu) et Orchestre de l’Opéra national de Paris, dir. Stefano Montanari. Palais Garnier, 24 septembre 2024. Représentations suivantes : 27 septembre, 2, 3, 5, 8, 12 octobre, 26 et 29 juin 2024, 1er, 2, 4, 9, 10, 12 juillet 2025.