Iphigénie en Tauride à l’Opéra-Comique le 4 novembre

Ô bienheureuse Iphigénie !

Tamara Bounazou rayonne dans la vibrante Iphigénie en Tauride mise en scène par Wajdi Mouawad et dirigée par Louis Langrée avec une commune énergie.

Ô bienheureuse Iphigénie !

NOUS N’AVIONS PAS ÉTÉ TRÈS CONVAINCUS par la mise en scène de Pelléas et Mélisande qu’avait présentée Wajdi Mouawad dans le cadre disproportionné de l’Opéra Bastille. Les dimensions plus restreintes de l’Opéra-Comique et la violente concision d’Iphigénie en Tauride lui conviennent cent fois mieux. Si l’on oublie le laborieux prologue parlé, dû à la plume de Wajdi Mouawad lui-même, qui prend le prétexte que la Tauride est l’ancien nom donné à la Crimée pour nous montrer de quelle manière la Russie, à la faveur du conflit en cours, a confisqué des œuvres grecques, cette mise en scène est une magnifique représentation de la violence quand le destin ne la retient plus.

La scénographie est fort simple : dans une atmosphère étouffante, un panneau maculé de sang avance et recule au fil des menaces qui pèsent sur Oreste et Pylade, deux Grecs qui viennent de s’échouer sur les rives de la Tauride. Selon la loi du roi Thoas, ils sont promis à la mort – mais Iphigénie, en exil sur ces bords, reconnaît son frère Oreste, et l’intervention finale de la déesse Diane permet que n’ait pas lieu le sacrifice.

Les convulsions et le poignard

Nerveuse et convulsive, la direction d’acteurs s’épanouit dans ce décor réduit à l’essentiel : Theo Hoffman (Oreste) en fait peut-être un peu trop dans la souffrance, Philippe Talbot n’a pas tout à fait la posture tragique, mais Tamara Bounazou est d’une présence magnifique : le geste, le regard, la manière de brandir le poignard, de s’effondrer ou de décrire un geste hiératique, tout fait d’elle une Iphigénie de feu.

L’intimité de la salle Favart ajoute à l’intensité du spectacle et permet aux interprètes toutes les nuances expressives. Si elle n’est pas dotée d’une grande voix, Tamara Bounazou fait jaillir la douleur d’Iphigénie, plus près ici de l’humanité que de la mythologie. On goûte l’accord des voix de Theo Hoffman, baryton chaleureux, et de Philippe Talbot, ténor léger mais charnu, et l’intervention finale de Léontine Maridat-Zimmerlin en Diane, à laquelle Wajdi Mouawad donne curieusement des gestes de poupée mécanique. Et si Jean-Fernand Setti a quelque chose de brutal en Thoas, c’est que Gluck n’a guère permis aux quelques interventions du roi des Scythes de baigner dans la douceur.

Éloquence instrumentale

Le chœur Les Éléments apporte son affliction, sa cruauté, sa majesté à ce huis-clos auquel des costumes sans âge, et c’est très bien (nous sommes tout à la fois dans une Antiquité quotidienne et dans un Moyen-Âge qui se souviendrait des croisades), apportent à la fois de l’animation et un surcroît de cohérence scénique.

Dans la fosse, sous la baguette pleine de ressort de Louis Langrée, Le Consort rend justice à Gluck de manière exemplaire : ampleur contrôlée des cordes, tendresse du hautbois (dans l’air « Ô malheureuse Iphigénie », en particulier), violence crue des cuivres, tout y est. Il sera curieux de comparer la manière dont Théotime Langlois de Swarte, qui prend le relais à partir du 8 novembre, abordera ces contrastes abrupts de dynamique et de tempos, cette tension qui habite même les moments suspendus, et, d’une manière générale, l’urgence qui tisse cette musique et la met au service du drame et non pas de l’hédonisme.

Illustrations : Tamara Bounazou (Iphigénie) et Theo Hoffman (Oreste). Anthony Roullier (comédien), Tamara Bounazou (Iphigénie), chœur Les Éléments ; photos Stefan Brion

Gluck : Iphigénie en Tauride. Avec Tamara Bounazou (Iphigénie), Theo Hoffman (Oreste), Philippe Talbot (Pylade), Jean-Fernand Setti (Thoas), Léontine Maridat-Zimmerlin (Diane, Deuxième prêtresse), Fanny Soyer (Une femme grecque, Première prêtresse), Lysandre Châlon (Un Scythe, Un ministre du sanctuaire), Anthony Roullier (comédien). Mise en scène : Wajdi Mouawad ; décors : Emmanuel Clolus ; costumes, coiffures, perruques, maquillages : Emmanuelle Thomas ; chorégraphie : Daphné Mauger ; chœur Les Éléments (dir. Joël Suhubiette) ; Orchestre Le Consort, dir. Louis Langrée. Opéra-Comique, 4 novembre 2025. Représentations suivantes : 6 (dir. Louis Langrée), 8, 10 et 12 novembre (dir. Théotime Langlois de Swarte).

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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