Festival d’Avignon
Nouveau Roman de Christophe Honoré
Les écrivains se lèvent à Minuit
Avec Nouveau Roman, le théâtre s’ouvre à l’histoire de la littérature et à ses questions théoriques. Voilà en scène des écrivains qui nous sont peu ou prou familiers : Marguerite Duras, Alain Robbe-Grillet, Michel Butor, Robert Pinget, Nathalie Sarraute… Il manque Samuel Beckett mais Christophe Honoré a pensé qu’il était irreprésentable ou, tout au moins, difficile à figurer (il sera l’absent dont on parle beaucoup, comme Godot). Comme le titre le suggère, le spectacle reconstitue la naissance de cette école littéraire qui casse tout à partir des années 50 et se fonde autour des éditions de Minuit et de son directeur, Jérôme Lindon. Puis il en suit les avatars : les exclusions, les succès des uns, les échecs des autres, leurs querelles, leur vie sexuelle connue ou cachée. Il relie le mouvement au contexte politique avec le refus de ces auteurs hostiles à la littérature engagée mais signant le manifeste des 121. Robbe-Grillet apparaît comme le bras droit de Jérôme Lindon et le plus partisan d’un groupe, d’une école agissant selon des principes adoptés par tous ; mais il ne parvient pas à fédérer vraiment une équipe composée d’individualistes forcenés. Les écrivains ne peuvent être que solitaires. Le spectacle – qui dépassait d’une heure et demie la durée de deux heures préalablement annoncée – va jusqu’à l’émiettement final : Duras traite Lindon de profiteur, Robbe-Grillet entre à l’Académie, tous meurent, sauf Ollier et Butor – lequel avait été le premier à prendre ses cliques et ses claques, après avoir été le premier à décrocher un prix littéraire.
Honoré a pensé son spectacle comme un jeu. C’est presque un jeu d’enfants : composez votre kit Pinget ou Sarraute, et amusez-vous ensuite à construire votre personnage et son histoire ! Les acteurs jouent à figurer ces écrivains doués et prétentieux en restant eux-mêmes, sans les incarner vraiment. Ils jouent à être acteurs ! Ils ne ressemblent pas à leurs personnages mais ils parlent comme eux, ils puisent dans des paroles oubliées ce qu’il est important ou plaisant de dire aujourd’hui. Ils sont si peu ressemblants que certains rôles masculins sont tenus par des femmes : formidables Annie Mercier et Brigitte Catillon interprétant Lindon et Butor. Dans un décor qui fait penser à une gare des années 50 (sol et marches en faïence colorée, au fond une sorte de kiosque), tout se passe dans une joyeuse partie d’archéologie rieuse où Jean-Charles Clichet en Alain Robbe-Grillet, Mélodie Richard en Catherine Robbe-Grillet, Anaïs Demoustier en Duras, Mathurin Voltz en Pinget, Julien Honoré en Claude Mauriac, Ludivine Sagnier en Sarraute, Benjamin Wangermee qui fait le grand écart en jouant successivement Ollier et Sagan trouvent la saveur d’une farce aux enjeux sérieux. Pour la reprise à Paris, à la Colline, il faudrait couper et resserrer. Chaque acteur a bénéficié d’un coach et s’est fait plaisir en donnant à son personnage le maximum de scènes. Il y a à compresser ! Mais quel beau moment où se posent, dans une matière historique et humaine, les grandes questions de l’écriture !
Nouveau Roman, texte et mise en scène de Christophe Honoré, scénographie d’Alban Ho van Lumier, lumière de Rémy Chevrin, costumes de Coralie Gauthier, vidéos (interviews de Lydie Salvayre, Philippe Sollers, Charles Dantzig, Mathieu Lindon, Isabelle Huppert, alain Fleischer, Marie Darieussecq…) par Rémy Chevrin, Christophe Honoré, Baptiste Klein. Festival d’Avignon. Tournée : Lorient, 10-12 octobre. Nîmes, 17-18 octobre. Toulouse, 23-26 octobre. Créteil, 7-10 novembre. Paris, Colline, 15 novembre – 9 décembre. Toulon, 10-12 janvier. Perpignan, 17-19 janvier. (Durée actuelle : 3 h 30). © Christophe Raynaud de Lage