Néron, Poppée et le couronnement

À L’Athénée, les jeunes chanteurs de l’Académie de l’Opéra de Paris et Le Poème harmonique reviennent aux sources du Couronnement de Poppée.

Néron, Poppée et le couronnement

COMPOSITEUR DE L’ORFEO (1607), CLAUDIO MONTEVERDI passe pour avoir inventé le genre de l’opéra. C’est sans compter toutefois avec d’autres partitions écrites sur le même sujet : l’Euridice de Peri (1600) et celle de Caccini (1602), que précéda dès 1598 une Dafne signée elle aussi par Peri (1597). Il est vrai que Monteverdi a persévéré : plusieurs partitions suivirent son Orfeo, malheureusement perdues. Il nous reste cependant Il ritorno d’Ulisse in patria (1640) et L’incoronazione di Poppea, qui suffisent à faire de Monteverdi une balise essentielle dans l’Histoire de la musique.

1647. Quatre ans après la création à Venise de L’incoronazione, une troupe de chanteurs vénitiens vient à Paris représenter l’Orfeo  : non pas celui de Monteverdi (mort en 1643) mais celui récemment achevé par Rossi. Les préparations de l’ouvrage n’en finissent pas et, de guerre lasse (!), on choisit de monter L’incoronazione di Poppea, dans une version resserréee, rebaptisée Il Nerone (« Néron »). C’est cette version qui a été donnée à l’Athénée par les jeunes chanteurs de l’Académie de l’Opéra national de Paris. Sans entrer dans les détails, on sait que la partition autographe de L’incoronazione a disparu. Restent aujourd’hui deux manuscrits ultérieurs (dits « de Venise » et « de Naples »), qui servent de référence lorsqu’il s’agit de monter l’ouvrage. Or, ces deux manuscrits intègrent des modifications tardives sur lesquelles revient la présente version, qui se rapproche de celle qui fut donnée à Paris en 1647. C’est ainsi qu’il nous est donné d’entendre un chœur final plutôt que le célèbre duo « Pur ti miro » qui a sans doute été écrit par un autre compositeur que Monteverdi.

L’esprit de la troupe

Quant aux personnages, il ne reste parmi les dieux qu’Amour et Mercure. Comme l’écrit le chef d’orchestre Vincent Dumestre, « le travail avec les jeunes chanteurs de l’Académie de l’Opéra national de Paris a pris également tout son sens, rappelant le fonctionnement des musiciens vénitiens de l’époque qui comme eux étaient en troupe, associés à un théâtre ». Dans la fosse, Vincent Dumestre (qui sort à peine d’une série de Coronis à l’Opéra Comique) dirige pour sa part un ensemble réduit d’une dizaine musiciens qui ne jouent que des instruments à cordes : on gagne en partie en chaleur ce qu’on perd en couleur.

L’enjeu dramatique de L’incoronazione est à l’opposé de celle qui désunit Titus et Bérénice dans la pièce de Racine : Néron se moque de l’avis du Sénat et du peuple de Rome, il n’attend qu’un prétexte pour répudier Octavie et faire de Poppée sa nouvelle impératrice. Sur scène, à l’Athénée, chacun fait vivre cet enjeu, ses développements et ses à-côtés, dans l’esprit d’une équipe bien soudée. Dès le Prologue, on apprécie la maîtrise expressive de Martina Russomanno (impeccable en Fortuna et plus tard en Drusilla), et la présence de Ksenia Proshina (Amore, très à l’aise également dans le costume de groom du Valetto), qui fut il y a peu Barberina dans Le nozze di Figaro au Palais Garnier. Quant à Lise Nougier (Virtu), elle sera exemplaire un peu plus tard en Nutrice.

Sybarite et retors

Concernant les rôles-titres, le contre-ténor Fernando Escalona se montre exceptionnel d’aisance en Néron sybarite et irascible, retors et sensuel. La voix, le style, le jeu, tout y est. Marine Chagnon prend un peu plus de temps avant de donner sa pleine mesure, mais il est vrai que Poppea est d’abord un objet de contemplation de la part de Néron, lequel est le maître d’ouvrage de l’action. Alejandro Baliñas Vieites est un Sénèque sonore et stoïque, comme il se doit, et Léopold Gilloots-Laforge un Ottone un peu plus retenu ; mais on sait que le personnage, déchiré entre Drusilla et Poppée, par ailleurs objet d’un chantage par Octavie, est le plus fragile de tous. Quant à Ottavia, c’est Lucie Peyramaure, qui tient le rôle peut-être le plus émouvant de l’opéra. On a entendu des « Ah ! » plus rauques au début de son dernier air, mais Lucie Peyramaure exprime le désarroi du personnage avec une discrétion fort éloquente. Les petits rôles sont tous distribués eux aussi avec à propos.

Réduite à l’essentiel et débarrassée de tout pittoresque, la mise en scène d’Alain Françon se contente d’un décor nu agrémenté de quelques accessoires (une bergère, un buste), avec parfois au fond une toile peinte représentant un arbre et des oiseaux, et les chanteurs-acteurs sont dirigés avec rigueur. On pourra regretter les couleurs criardes du costume d’Amour, par ailleurs un peu trop présent sur le plateau (mène-t-il vraiment à ce point les opérations ?), mais le spectacle est fluide, rythmé, et respecte la tradition qui fait d’Arnalta un rôle travesti (ici Léo Fernique, aussi drôle qu’on attend). Car Il Nerone pratique le mélange des genres, mêle le tragique et le bouffon, à la faveur d’une musique qui fait la part belle au récitatif, certes, mais réserve de nombreuses pages de lyrisme ; grâce aussi à un livret qui télescope tous les registres (sentimental, érotique, politique, philosophique, etc.) à la manière de Shakespeare. Une mine pour de jeunes interprètes soucieux de chant autant que de théâtre.

Illustration : Nutrice, Seneca et Ottavia s’interrogent sur les lubies de Nerone (photo Vincent Lappartient, studio J’adore ce que vous faites-OnP)

Monteverdi : Il Nerone (L’incoronazione di Poppea). Fernando Escalona (Nerone), Marine Chagnon (Poppea), Alejandro Baliñas Vieites (Seneca), Lucie Peyramaure (Ottavia), Léopold Gilloots-Laforge (Ottone), Ksenia Proshina (Amore/Valetto), Lise Nougier (Virtu/Nutrice), Martina Russomanno (Fortuna/Drusilla), Léo Fernique (Arnalta), Yiorgo Ioannou (Mercurio/Famigliare di Seneca 3/Consoli/Tribuni 2), Léo Vermot-Desroches (Soldato 1/Lucano/ Famigliare di Seneca 1), Thomas Ricart (Soldato 2/Famigliare di Seneca 2/Tribuni 1). Le Poème harmonique, dir. Vincent Dumestre. Mise en scène : Alain Françon. Théâtre de l’Athénée, 4 mars 2022. Représentations suivantes : les 6, 8, 10 et 12 mars ; du 20 au 26 mars à l’Opéra de Dijon ; le 1er avril à la maison de la Culture d’Amiens.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook