Mouton noir d’Alex Lorette

Harcèlement scolaire, la galère

Mouton noir d'Alex Lorette

Démonstration faite, une fois de plus, qu’avec un texte solide, d’ excellents comédiens, un metteur en scène attentif à l’œuvre, quelques éléments de décor et quelques accessoires, le théâtre produit des miracles de représentations riches de sens, accessibles à la compréhension de tous, porteurs d’émotions stimulantes.

Alex Lorette a écrit « Mouton noir » en décrivant le harcèlement dont est victime une étudiante (Camille) de la part de ses condisciples. Il a trouvé les mots justes pour traduire l’horreur produite et subie. Il met cela en succession des séquences plutôt brèves qui permettent de passer d’un lieu à un autre, d’un moment à un autre de manière cinématographique. Il évoque diverses pratiques de harcèlement ; il donne la parole à l’institution scolaire qui n’assume pas ses responsabilités ; il montre l’aveuglement involontaire des parents ; il fait allusion à la difficulté pour un enseignant dans sa classe de se rendre compte de mal-être sous-jacent ; il laisse s’exprimer la persécutée en ses doutes, ses impuissances, ses velléités, son illusoire résignation, son aspiration à créer de vrais liens affectifs. Soucieux d’analogie parlante avec notre société, en parallèle du destin de l’adolescente, l’auteur témoigne de celui d’une truie élevée par les humains pour la transformer en viande de consommation.

Mise en scène et jeu exceptionnels

De prime abord pas facile de jouer cette double histoire qui risque de perturber la réception du spectacle théâtral. Marie Gaultier a imaginé un dispositif scénographique qui permet d’évoquer les lieux cités dans la pièce. Il s’agit de quatre cadres métalliques sur roulettes rapidement déplaçables, agençables sans risque de ralentir le rythme de la représentation. Ils sont complétés par un petit praticable amovible et des accessoires divers.

Les costumes ont un rôle capital. Ils permettent en effet, symboliquement, de repérer quel personnage est interprété par un acteur et trois comédiennes chargés de tous les rôles : Camille, la bande des harceleurs, une élève particulière, la copine confidente, le directeur d’école, un titulaire de classe, la mère, la truie, le boucher charcutier du coin, les bouchers de l’abattoir, l’ado séducteur dont on tombe amoureux, une journaliste… Les codes vestimentaires sont vite évidents et permettent aux interprètes de passer d’un rôle à un autre sans embarrasser la compréhension.

La complémentarité entre cadres à roulettes manipulés et tenues à enfiler amène un jeu scénique dynamique. Nul temps mort, d’autant que, avant chaque séquence, quelqu’un en annonce le titre, soit une localisation, soit une action, soit un personnage. Le quatuor acteur est porteur d’une énergie qui donne au texte une forme percutante. Le travail corporel et vocal de chaque interprète est remarquable tant gestes, mimiques, allures, nuances vocales sont évocateurs.

La mise en place du drame se construit peu à peu devant le public. Sans émotion superflue. Seulement par accumulation des moments les uns à la suite des autres. Pas de place pour des larmes faciles mais une émotion palpable porteuse de réflexion. Un formidable outil de compréhension d’un phénomène larvé mais omniprésent en milieu scolaire autant qu’en milieu de travail. Une réussite comme seul le théâtre peut concevoir afin de transmettre le vécu non pas en images virtuelles mais en présence réelle de celles et ceux qui jouent la réalité.

07>26 juillet 2023 Festival Off Avignon Théâtre du Train bleu 11h50
Durée : 1h30 (version scolaire) ; 1h50 (tout public)
Dès 12 ans

Conception, mise en scène : Marie Gaultier
Interprétation : Manon Charrier, Benjamin Lamy Berrué, Alice Le Bars, Zélie Thareaut - issus des Conservatoires de région (Angers et Nantes)
Lumières : Natalie Gallard
Technicien son, lumières : Alexandre Mornet, Romain Mulochau (en alternance)
Musique : Arnaud Coutancier
Constructeur : Philippe Ragot
Production, tournées : Julie Ortiz
Soutien : DRAC des Pays de la Loire, Pays de la Loire, Département de Maine-et-Loire Ville d’Angers, ADAMI, Crédit Agricole
Co-production : Théâtre du Champ de Bataille (Angers)
Résidence de création : Scène nationale 61
Photo (c) DR Piment Langue d’Oiseau
Lire  : Alex Lorette, « Mouton noir », Carnières, Lansman, 2016, col. Théâtre à Vif, 82 p. (12€)

A propos de l'auteur
Michel Voiturier
Michel Voiturier

Converti au théâtre à l’âge de 10 ans en découvrant des marionnettes patoisantes. Journaliste chroniqueur culturel (théâtre – expos – livres) au quotidien « Le Courrier de l’Escaut » (1967-2011). Critique sur le site « Rue du Théâtre » (2006-2021)....

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