Moi, Daniel Blake d’après Ken Loach et Paul Laverty
Un chômeur dans la machine à broyer des services philanthropiques
Encore un film porté à la scène ! Il y a trop de scénarios à l’affiche de nos théâtres, actuellement ! Mais la parole de Ken Loach n’est pas négligeable. L’on ne peut qu’espérer que Moi, Daniel Blake, une fois devenu pièce dans une adaptation de Joël Dragutin, touche les spectateurs comme le film a saisi le public des salles dites obscures. Car c’est de l’oppression kafkaïenne des sociétés férocement libérales qu’il s’agit, indifférentes aux petites gens qu’elles broient tranquillement. Le film est connu, depuis qu’il a obtenu la Palme d’or à Cannes, en 2016. Blake est un menuisier fatigué de 59 ans, que son médecin juge inapte au travail. Mais, s’il veut toucher des indemnités, il doit continuer à chercher un emploi. Alors il tourne d’un service à l’autre à l’intérieur de ce qui est, en Angleterre, l’équivalent de Pôle emploi, en habitant là où il peut. Il croise la route d’une jeune femme aussi malheureuse que lui, ou plus malheureuse : elle a deux enfants, pas de mari et habite à plusieurs dizaines de kilomètres de son lieu de travail. Ils s’entraident. Mais la machine administrative faite pour les aider sait si bien les écraser, la philanthropie a le visage du mépris…
L’idée forte de la mise en scène de Dragutin est de ne pas lutter avec l’image. La scène est un carré noir et vide, autour de laquelle les acteurs s’assoient quand ils ne jouent pas. Quand ils sont dans l’action, les éléments de décor sont presque inexistants. Tout est dans les gestes, les déplacements, l’intensité du jeu. Cela donne une transcription minimale mais tendue et poignante. Dans le rôle principal, Jean-Yves Duparc est d’une merveilleuse pâte humaine. Quelle riche présence a ce comédien trop peu connu ! Sophie Garmilla, qui endosse le personnage de la jeune femme maltraitée et mal-aimée, allie parfaitement l’énergie et la sensibilité. Leurs partenaires peuvent jouer plusieurs rôles. Jean-Louis Cassarino a un punch d’une grande puissance maîtrisée, Stéphanie Lanier traduit avec autant de force que de finesse les duretés conscientes et inconscientes des représentantes de l’autorité ; Aurélien Labruyère, Fatima Soualhia-Manet et Clyde Yeghuete figurent dans une froideur exacte les différents visages de la machine répressive. Face au pouvoir musclé du cinéma, la modestie du théâtre trouve là un émouvant langage en demi-teintes.
Moi, Daniel Blake d’après le film de Ken Loach sur un scénario de Paul Laverty, adaptation et mise en scène de Joël Dragutin, assistanat à la dramaturgie et à la traduction de Géraud Benech, lumières d’Orazio Trotta, son de Thierry Bertomeu, photographies de Jean-Michel Rousvola, costumes de Janina Ryba, avec Jean-Louis Cassarino, Jean-Yves Duparc, Sophie Garmilla, Aurélien Labruyère, Stéphanie Lanier, Fatima Soualhia-Manet, Clyde Yeghuete.
Théâtre des Arts, Nouvelle Scène nationale de Cergy-Pontoise, tél. : 01 34 20 14 14. Représentations terminées depuis le 19 avril. Reprise à Avignon Off : Théâtre des Halles, à partir du 4 juillet.
Photo Jean-Michel Rousvoal : Sophie Garmilla et Jean-Yves Duparc.