Menaces sur le Conservatoire ?

Il existe un endroit resté secret, dans le neuvième arrondissement de Paris. Tellement secret qu’il risque de perdre son âme sans susciter de grande émotion : le bâtiment de l’actuel Conservatoire d’art dramatique, là où Berlioz fut étudiant à partir de 1826.

Menaces sur le Conservatoire ?

TOUS LES AMOUREUX DE LA MUSIQUE de Berlioz connaissent, au moins de réputation, le bâtiment situé 2bis, rue du Conservatoire*, dans le neuvième arrondissement de Paris : c’est là, dans la salle de concert, que furent créés la Symphonie fantastique, Le Retour à la vie, Harold en Italie et Roméo et Juliette (une plaque sur l’un des murs extérieurs est là pour le rappeler) ; c’est là aussi qu’à partir de 1828, Habeneck révéla au public parisien les symphonies de Beethoven. C’est là enfin que Berlioz eut son bureau de bibliothécaire adjoint (à partir de 1839), puis de bibliothécaire en chef (à partir de 1850), enfin de conservateur du musée instrumental (à partir de 1866).

Pourtant, au fil des dernières décennies, ce lieu a joué un rôle de plus en plus marginal dans la vie musicale. Inauguré en 1795, le Conservatoire de musique (puis de danse et d’art dramatique) prend rapidement ses quartiers dans ce bâtiment situé non loin de l’église Saint Eugène et Sainte Cécile. En 1911 cependant, le Conservatoire s’installe rue de Madrid, abandonnant ses locaux à l’administration des postes (qui en profite pour ouvrir un bureau), jusqu’à ce que deux instances soient créées, en 1946, permettant au nouveau Conservatoire d’art dramatique de retrouver les murs de la rue du Conservatoire, le Conservatoire de musique restant rue de Madrid. En 1991 enfin, ce dernier (entre-temps rebaptisé Conservatoire national supérieur de musique) s’installe rue Jean Jaurès, dans le parc de La Villette.

Pompéi à Paris

Voilà donc plus d’un siècle que les bâtiments de la rue du Conservatoire ne sont plus dévolus à l’enseignement de la musique. La très belle salle construite en 1811 par Delanoy, et pourvue d’un décor pompéien, accueille encore quelques rares concerts, mais de moins en moins : elle est devenue le théâtre du Conservatoire national d’art dramatique. C’est là toutefois que John Eliot Gardiner a souhaité enregistrer en 1991 la Symphonie fantastique avec son Orchestre révolutionnaire et romantique.

Le déménagement de 1911 a été suivi du classement au titre des monuments historiques du seul théâtre. Aujourd’hui, alors que le Conservatoire d’art dramatique est appelé à déménager, à l’horizon 2022, dans de nouveaux locaux boulevard Berthier, le bâtiment de la rue du Conservatoire doit être vendu par l’État ; dans cette hypothèse, seuls le théâtre et le bureau de Berlioz seraient protégés car toujours affectés au Conservatoire, le reste restant à la discrétion de l’acheteur, qui pourra l’aménager, l’altérer ou le détruire selon son bon plaisir. « Le reste » pourtant, malgré l’incohérence qui a présidé à sa conservation, est un ensemble qui témoigne de la vitalité de l’architecture de la fin du XVIIIe siècle, malgré les modifications survenues au XIXe et surtout au début du XXe. Ensemble qui n’a donc jamais été classé, malgré la demande qui en a été faite. Il s’agit maintenant, non plus seulement de le classer enfin, mais de le préserver d’un destin qui, à court terme, risque de lui être fatal.**

À l’heure où le funeste projet de panthéonisation de Berlioz fait de nouveau parler de lui, cette autre agression contre la mémoire du musicien et l’histoire vivante de Paris ne peut que faire réagir. L’Association des élèves et des anciens élèves du Conservatoire national supérieur d’art dramatique a déjà tiré la sonnette d’alarme.

Illustration : la salle des colonnes du Conservatoire (dr).

* Il s’agit de l’adresse actuelle. Jusqu’à l’ouverture du bureau de poste, l’entrée s’effectuait rue Bergère.
** Plusieurs articles font le point sur la situation, consultables via les adresses suivantes :
www.latribunedelart.com/le-conservatoire-national-d-art-dramatique-un-monument-historique-en-danger
www.francemusique.fr/actualite-musicale/le-projet-de-vente-du-conservatoire-d-art-dramatique-de-paris-fait-grincer-des-dents-65646
www.rueduconservatoire.fr/article/6590/les_mots_de_la_presidente/l_etat_a_decide,_en_contrepartie_de_la_creation_de_la_cite_du_theatre,_de_mettre_en_vente_les_locaux_actuels_du_cnsad_(hormis_le_theatre_qui_est_classe),

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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