Médée par Lisaboa Houbrechts
A la Comédie française Lisaboa Houbrechts donne un visage radicalement nouveau à la Médée d’Euripide
Musique tonitruante, cris stridents, transe frénétique, ajout de textes et de personnages, rôles non genrés, sonorisation extrême... Tous les traits (pour ne pas dire les tics) du théâtre contemporain sont dans la nouvelle Médée présentée à la Salle Richelieu de la Comédie française. N’y manque que la vidéo et, pour le coup, le plateau semble presque vide. Un espace mental, une boîte tantôt noire tantôt jaune, avec quelques éléments apparaissant deci delà, entre lesquels les interprètes ont l’air un peu perdus, empêtrés dans leurs toges serrées, très couture. Tout l’espace semble occupé par Séphora Pondi qui joue Médée dans une version radicalement nouvelle de la magicienne matricide. C’est peu dire que l’adaptation proposée par Lisaboa Houbrechts démystifie le personnage magnifié par Euripide en 431 av. J.C., amoureuse bafouée dont le destin traverse toute l’histoire de la tragédie (et des autres arts, musique, peinture...).
Mais les grands mythes n’intimident pas l’étoile montante de la scène flamande, Lisaboa Houbrechts, 31 ans, qui s’est fait connaître par son adaptation retentissante de Hamlet. Elle s’attaque donc à l’auteur grec avec pour principe de ne pas « se conformer à une norme, à l’idée que l’on se fait a priori d’un rôle », dit-elle dans le dossier de presse. Un a priori chasse l’autre ... Dans le même souci de proximité, l’adaptation par la metteuse en scène de la traduction signée Florence Dupont s’approche au plus près du langage quotidien. Si bien que Médée devient un personnage de fait divers, une ménagère dont le linge des enfants sèche au-dessus de la scène, étrangère dans le pays hostile où l’a conduite son amour.
S’appuyant sur le fait que dans l’antiquité les acteurs étaient couverts d’un masque, la metteuse en scène fait fi des sexes des personnages et redistribue le chœur en différentes entités jouées par un.e ou plusieurs comédien.nes (Chœur de Colchide, d’Athènes, de Corinthe) sans qu’on en perçoive la nécessité. Considérablement développé, le rôle de la nourrice est joué par Bakary Sangaré (excellent acteur mais pas très compréhensible), qui tente d’inverser le cours du temps et refait l’histoire en se perdant de si et en mais. De même, le rôle de Jason est tenu par Suliane Brahim pas très convaincante. Bienvenus en revanche, les magnifiques chants arméniens modulés par Serge Bagdassarian qui incarne le Chœur de Colchide et apporte la note d’étrangeté indissociable de l’histoire de Médée.
Boule de colère
S’appuyant sur ces mots de l’héroïne : « La rage commande à la volonté », la metteuse en scène voit dans la princesse magicienne de Colchide (« une barbare », disent les Grecs) qui a trahi les siens pour suivre Jason, une victime humaine (trop humaine), boule de colère qui s’exprime dans un long cri. Délaissée par son amoureux, dont elle a eu deux garçons et qui veut épouser la fille du roi de Corinthe, Médée s’abandonne à sa rage au point de tuer Aphrodite (personnage ajouté) qui lui a inspiré cette passion - comme si l’on pouvait tuer une déesse ! - Ce meurtre préfigure les suivants, conformes à la légende ceux-là, celui de sa rivale, Créüse, et de son père Créon, dans une spirale de violence qui va la conduire à sacrifier ses deux enfants.
Et c’est là qu’apparaît la première bonne idée du spectacle : les deux garçons en question sont représentés par des ballons de baudruche, corps légers avec lesquels joue Médée avant de les crever dans un accès d’amour protecteur. L’autre bonne idée, c’est celle qui conclut en apothéose la pièce : une statue géante à moitié brisée qui prend la forme du char solaire dans lequel Médée s’élève dans les airs, acquérant enfin la distance et la stature mythique qu’elle aurait dû avoir depuis le début.
Médée d’après Euripide, salle Richelieu de la Comédie française, jusqu’au 24 juillet, www.comedie-francaise.fr
Avec Serge Bagdassarian, Bakary Sangaré, Suliane Brahim, Didier Sandre, Anna Cervinka, Élissa Alloula, Marina Hands, Séphora Pondi, Léa Lopez. Et Sandra Bourenane, Yasmine Haller, Ipek Kinay.
Adaptation et mise en scène : Lisaboa Houbrechts. Traduction : Florence Dupont. Dramaturgie : Simon Hatab. Scénographie : Clémence Bezat. Costumes : Anna Rizza. Lumières : Fabiana Piccioli. Musique originale : Niels Van Heertum. Chants : Jérôme Bertier. Son Jeroen : Kenens. Travail chorégraphique : Tijen Lawton. Maquillages : Céline Regnard.
Photo : Vincent Pontet