Théâtre Nanterre-Amandier jusqu’au 13 octobre

Macbeth de Shakespeare

L’armée des ombres

Macbeth de Shakespeare

Maître ès fantaisies, passionné des délires mis en jeu par Offenbach ou Lewis Carroll, Laurent Pelly n’a pas la réputation d’être un metteur au scène à qui la tragédie est familière. Il a pourtant monté Le Roi Jean ou La Danse de mort, mais le directeur du Théâtre national de Toulouse a la réputation de ne faire surgir que le rire et la fantaisie. Il s’attaque, cette fois, à Macbeth - la « pièce écossaise », comme disent les Anglais pour ne pas avoir à prononcer un titre qui porterait malheur. Son spectacle, d’après la belle traduction de Déprats, est une réussite qui surprendra. Au lieu du tumulte baroque que suggère généralement ce texte, Pelly compose une tapisserie toujours dépouillée, dont il a lui-même conçu les décors et les costumes. Au départ, cela ressemble à un livre d’images. Des murs de parpaings clairs se déplacent dans l’espace, le château est une maison comme on en voit dans les livres d’enfants, des praticables abstraits de couleur bleue remplacent toute figuration de monuments. La nuit ne cesse de créer un filtre sur notre perception : le ciel scintille, pourtant rien n’est tout à fait visible dans une pénombre lumineuse. Les femmes ont parfois des robes blanches, mais les hommes sont tous en capote bleu marine. Cela pue la caserne ! Visuellement ! L’on n’est pas au XVIe siècle, mais dans une ère indistincte où le pouvoir militaire fait marcher ses cohortes, triompher son ordre, son effacement de l’individu et sa musique. De temps en temps, dans cette soirée autant dessinée que mise en scène, un trait à la Folon ou à la Topor, une étrangeté qui fait rire ou sourire, ou un trait sanglant qui crée l’effroi en même temps qu’il amuse. Une chaise immense, sur laquelle Macbeth ou Lady Macbeth se tient droit avec une taille de lilliputien, figure le pouvoir. Les sorcières, jouées par des hommes, ont d’énormes seins et un long bonnet pointu, comme sorties d’un Breughel – ou de Topor, pour le citer une seconde fois.

Cette errance nocturne, Pelly la met en marche comme une course lente et aveugle dans des ténèbres qui s’entrouvrent et qui grondent. Ordinairement, les personnages de Macbeth se côtoient, se bousculent et se chevauchent dans un désordre furieux. C’est le style contraire qui est utilisé ici. On n’a jamais vu un Macbeth aussi seul : Thierry Hancisse, acteur à la fois intériorisé et athlétique, clame comme si personne ne lui répondait, tel un chantre douloureux de la poésie de l’échec. Il est surprenant et magnifique. Lady Macbeth est rarement à ses côtés, elle est seule aussi : l’inattendue Marie-Sophie Ferdane est aux antipodes de la traditionnelle poissarde et s’inscrit avec élégance dans le renouvellement de l’imagerie. Les autres personnages, interprétés par des acteurs qui changent de rôles, sont des ombres, à part l’original Pierre Aussedat quand il joue, écrasé par la nuit et l’échelle des décors, le roi qu’on va tuer. Il y a là les compagnons habituels de Laurent Pelly, au jeu vif : Rémy Gibier, Eddy Letexier, Emmanuel Daumas, Fabienne Rocaboy, Laurent Meininger… Toute cette armée des ombres tourne dans un labyrinthe sans trouver de sortie humaine ou stratégique. Cela implique, dans la mise en scène de Pelly, une certaine froideur esthétique, mais volontaire, pensée, distillée dans une fresque formidablement dessinée.

Macbeth de Shakespeare, traduction de Jean-Michel Déprats, mise en scène, scénographie et costumes de Laurent Pelly, lumière de Michel Le Borgne, son d’Aline Loustelot, maquillages de suzane Pisteur, accessoires de Jean-Pierre Belin, avec Thierry Hancisse, Marie-Sophie Ferdane, Pierre Aussedat, Emmanuel Daumas, Rémi Gibier, Benjamin Hubert, Eddy Letexier, Régis Lux, Laurent Meininger, Ronan Rivière, Fabienne Rocaboy, Jean-benoiît Terral, Damien Vigouroux. Texte dans les Oeuvres complètes, Pléiade, Gallimard, tome II. (Durée : 3 h 15).

Théâtre Nanterre-Amandier jusqu’au 13 octobre tel 01 46 14 70 00

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

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