Lignes de failles d’après Nancy Huston

Une anti-saga

Lignes de failles d'après Nancy Huston

C’est une saga historique inversée, soit une anti-saga. Elle commence par la fin et se termine par le commencement. Le roman de Nancy Huston reconstitue les « lignes de faille » d’un groupe humain en partant d’une famille américaine en l’an 2004, qui semble assez banale mais dont les comportements et les différends traduisent des chocs considérables et liés à l’Histoire du XXe siècle. L’on passe des Etats-Unis à Israël, à l’Allemagne, à l’Ukraine des années 40 où une fillette a été volée par les nazis dans le cadre d’une opération « eugéniste », de recherches autour de la purification de la race aryenne…
Porter un tel livre livre au théâtre est une tentative folle et risquée ! Catherine Marnas en a eu le courage, et Nancy Huston a fait savoir combien elle appréciait le résultat.
La première moitié de ce spectacle fleuve (plus de quatre heures) est tout à fait convaincante. Jeu rapide et immédiatement évocateur, décor coloré, changeant et captant avec quelques accessoires miniatures toute une période de l’Histoire, utilisation d’un son varié (quand l’acteur est narrateur, il parle d’une manière sonorisée, mais, quand il passe d’un personnage à l’autre, sa voix n’est pas toujours amplifiée). La recherche d’un langage théâtral complexe est considérable, et l’on ne peut qu’être impressionné par la traduction formelle de Catherine Marnas et l’interprétation étonnamment mobile des huit acteurs (principalement Julien Duval et Sylvie Orcier). Mais, sur la distance, lorsqu’on passe à la seconde moitié, c’est-à-dire aux deux derniers épisodes, la transposition perd de sa pertinence. L’adaptation même semble moins élaborée. Tout se passe comme si le récit parlé devenait plus important que les scènes dialoguées, comme si les tableaux devenaient des mises en images conventionnelles et s’appuyaient surtout sur le texte, d’une manière trop littéraire. Voilà un objet théâtral ambitieux, original, d’un matériau passionnant, plein d’idées scéniques, sollicitant pleinement l’art de métamorphose de l’acteur, mais fléchissant sous le poids des difficultés rencontrées, à moins que notre attention ne se soit montrée impatiente et injuste au fil de cette très longue soirée.

Lignes de faille d’après le roman de Nancy Huston, adaptation et mise en scène de Catherine Marnas, scénographie de Carlos Calvo et Michel Foraison, lumières de Michel Theuil, costumes de Dominique Fabrègue, son de Madame Miniature, Garnier et Lelièvre, vidéo de Reiso et Calvo, arrangements musicaux d’Olivier Pauls, avec Julien Duval, Pauline Jambet (en alternance avec Elisa Voisin), Franck Manzoni, Sylvie Orcier, Olivier Pauls, Catherine Pietri, Bénédicte Simon et Martine Thinières.

Théâtre du Rond-Point, 19 h, tél. : 01 44 95 98 21, jusqu’au 11 avril. Puis à Bourges, les 28 et 29 mai. Texte chez Actes Sud. (Durée : 4 h 30, entracte compris).

Photo Pierre Grobois.

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

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