Jakob Lehmann dirige Les Siècles au Théâtre des Champs-Élysées
Les Siècles passent la Cinquième
Sous la direction de Jakob Lehmann, l’orchestre Les Siècles interprète avec une nouvelle fraîcheur des œuvres cent fois entendues.
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- 18 octobre 2024
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LES PROGRAMMES LES MOINS AVENTUREUX ont cet avantage de nous faire renouer avec nos classiques et d’apprécier (ou non) ce qu’une interprétation nouvelle peut apporter à des œuvres étouffées par de plus ou moins bonnes traditions. C’est l’expérience qu’on a pu faire avec le premier concert donné cette saison par l’orchestre Les Siècles dans le cadre de la troisième année de sa résidence au Théâtre des Champs-Élysées.
François-Xavier Roth étant absent des scènes depuis la fin de la saison précédente, Les Siècles ont fait appel à différents chefs afin de diriger l’ensemble des concerts prévus de longue date. C’est Jakob Lehmann qui était chargé d’assurer ce premier rendez-vous, lequel faisait suite à une tournée ayant permis à l’orchestre d’aborder pour la première fois la musique de Bruckner : celle-ci a conduit Les Siècles et Jakob Lehmann jusqu’à Linz, le 10 octobre dernier, à la faveur d’un programme comportant notamment la Neuvième Symphonie de maître Anton.
À l’affiche du concert parisien figurait d’abord la Symphonie inachevée de Schubert, son inquiétude, sa noirceur, ses visions d’épouvante. Dire que Jakob Lehmann bouleverse notre écoute de la partition serait exagéré. La couleur orchestrale est ici très belle, ce qui n’a rien d’étonnant de la part des Siècles, les cors contribuent à l’angoisse de la musique, dont Jakob Lehmann met en valeur les lignes avec clarté mais avec un peu trop d’application. L’inachèvement selon Schubert est le contraire de la sécurité.
Tout change dans la seconde partie avec une Cinquième Symphonie de Beethoven qu’on croit connaître par cœur mais qui retrouve ici sa grandeur, son élan. La clarinette solo est réellement magnifique, le hautbois plus assuré que chez Schubert, les cordes à la fois rugueuses et lyriques (notamment dans le deuxième mouvement, le plus réussi). L’ensemble donne l’impression d’une interprétation aussi bondissante que musclée : on goûte les nuances obtenues par le chef (de très beaux pianissimos des cordes) et la puissance rentrée du martèlement obsédant des timbales à la fin du scherzo. Emportant !
Du côté de l’instant
Entre les deux symphonies, Les Siècles assuraient la création mondiale de ce moment, l’instant de Christian-Frédéric Bloquert (né en 1997), lauréat de la deuxième édition du Prix Pisar – une distinction imaginée par Judith Pisar qui permet à de jeunes compositeurs, rappelons-le, de bénéficier d’une résidence aux États-Unis afin de composer une œuvre orchestrale créée ensuite sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées (ce fut le cas déjà lors du concert du 30 avril dernier).
« J’ai choisi de composer une œuvre en référence à […] La Recherche du temps perdu de Proust qui se concentre sur le concept de temps et de mémoire, et sur la façon dont la perception des deux est affectée par l’endroit où nous nous trouvons, écrit le jeune compositeur. Conçue à New York, quel meilleur pont existe-t-il que de faire en sorte que la pièce soit créée à Paris et partager ainsi des souvenirs… et peut-être un ou deux clins d’œil avec Schubert et Beethoven ? » Certes. Pareil propos ne nous en apprend guère sur une œuvre qui commence par des bribes de phrase, nous plonge un instant dans une univers alla Varèse (autre compositeur français de New York) avant de laisser la place à un vaste motif lyrique confié aux cordes et à un bref tutti. Nous attendrons d’avoir entendu d’autres pièces de Christian-Frédéric Bloquert pour livrer quant à sa musique un avis plus précis.

On ajoutera que le Théâtre des Champs-Élysées s’est doté d’un nouveau décor d’orchestre dont la réalisation a été confiée à Félix Lefebvre, scénographe (Kanju), Federico Cruz-Barney, acousticien (Studio DAP) et Philippe Maffre, architecte du patrimoine (Maffre Architectural Workshop), en lien avec la direction technique du Théâtre. On pourra en apprécier l’effet au fil des soirées de concert.
Illustrations : Jakob Lehmann (photo dr) ; le nouveau décor d’orchestre (photo Cyprien Tollet/TCE)
Schubert : Symphonie n° 8 « Inachevée » - Christian-Frédéric Bloquert : ce moment, l’instant (création) – Beethoven : Symphonie n° 5. Les Siècles, dir. Jakob Lehmann. Théâtre des Champs-Élysées, 16 octobre 2024.
Prochains rendez-vous avec Les Siècles au Théâtre des Champs-Élysées : le 8 novembre (dir. Ustina Dubitsky), du 4 au 12 décembre (Dialogues des carmélites, dir. Karina Canellakis), le 7 janvier (dir. Franck Ollu), du 22 mars au 6 avril (Werther, dir. Marc Leroy-Calatayud), le 30 mars (dir. Pierre Bleuse), sans compter deux concerts scolaires (les 7 janvier et 21 mars) et un concert pour les familles (le 29 mars).