Du 23 novembre au 21 décembre 2024 au Théâtre Nanterre-Amandiers
Les Fausses Confidences de Marivaux par Alain Françon.
50 ans avant la Révolution, amour, argent et quête de soi existentielle.
Les Fausses Confidences (1737) est la pièce ultime de Marivaux qui bouscule l’ordre social - lumineuse et prémonitoire -, liant le romanesque à la radicalité.
Le fils de bonne famille Dorante, destiné à être avocat mais ruiné, s’avise de tomber amoureux d’une jeune veuve fort riche, Araminte. Le jeune homme est coaché pour cette affaire par son ancien valet Dubois, manipulateur dont l’art consiste justement à faire à chacun des protagonistes de fausses confidences, en s’amusant des tensions du coeur et de la raison chez les maîtres, comme chez les valets car Marton, la suivante d’Araminte, fera aussi les frais de ces mensonges.
Pour le metteur en scène Alain Françon, la pièce marivaldienne accentue le jeu autour du rang social, de la fortune et de la quête de soi - des variations entre intentions cachées ou inavouées, sous les contraintes de l’argent ou du sentiment.
Et chacun le sait, les affaires font fi de l’amour et des scrupules : Dorante, le fameux nouvel intendant d’Araminte aux projets incertains, entre coup de foudre et intérêt, est doté d’un oncle loquace un peu maladroit, Monsieur Rémy le Procureur, qui l’enjoint à épouser ailleurs une bonne fortune qui ne pourrait ainsi lui échapper, lui demandant d’abandonner aussitôt le poste dont il était initialement le garant.
Or, le maître des jeux n’est autre que Dubois, l’ancien valet de Dorante, qui oeuvre en démiurge pour les intérêts de celui-ci, marionnette prise dans des rets serrés : il croit déjà le voir, lui dit-il, « en déshabillé dans l’appartement de Madame ». Les sentiments qui vont et viennent de la part d’Araminte, victime de la surprise de l’amour, font le miel du maître marionnettiste tout à son « affaire », terme récurrent.
« Affaire » désignée comme « infaillible », « avancée » ou bien « en crise » par l’éloquence de Dubois, l’appellation mène bien la danse avant qu’elle ne soit retirée de ses mains par Araminte elle-même, vaincue par la passion, qui ponctue sèchement : « Ce sont mes affaires. » La jeune veuve rejette sa caste de parvenus en la personne de sa mère, Madame Argante, qui rêve de voir sa fille épouser un comte.
Araminte souffre avant l’heure d’une volonté d’émancipation et de libération des contraintes - individuelles, familiales et sociales - qui entravent le désir et l’intimité. Elle ne supporte plus de voir « d’honnêtes gens sans fortune, tandis qu’une infinité de gens de rien, et sans mérite, en ont une éclatante ». Elle refuse d’épouser, contre l’avis maternel, le riche et puissant comte, lui préférant son intendant, désargenté et déclassé, rencontré le matin et épousé le soir même...
Quelle est la sincérité de Dorante, amant aux intérêts matériels et affectifs, approximativement manipulé et manipulateur ? Le public n’a d’yeux que pour Araminte, naturelle, au sens élaboré du terme, selon Alain Françon, puisque la surprise de l’amour la révélera libre dans la reconnaissance de soi et du désir.
Le décor de Jacques Gabel est efficace, petites portes, murs et fenêtre entrouverts ou fermés, qui laissent voir des coursives, des travées où les activistes manipulateurs oeuvrent dans l’ombre - silence, mystère, choses tues ou devinées.
Pierre-François Garel est l’amant attachant et équivoque, entre naïveté et séduction. Guillaume Lévêque en Monsieur Rémy déclame avec talent et gourmandise sa propension bourgeoise à se raconter, « bonhomme », selon les dires de la méprisante Madame Argante, interprétée par la grâce majestueuse de Dominique Valadié. Yasmina Remil pour Marton est juste et vraie. Séraphin Rousseau en Lubin, sorte d’Arlequin, est malicieux et goujat à souhait, et Maxime Terlin en garçon joaillier est admirable d’ambiguïté servile. Quant à Alexandre Ruby - le Comte -, il a du style à se rendre au fait de ne pas être aimé, seigneur éconduit.
Gilles Privat en Dubois joue de son expérience avec patience et sérénité, selon les instants et les sentiments changeants de chacun, c’est l’artisan-horloger. Et l’élégante Georgia Scalliet en Araminte sait être elle-même, s’adressant au public avec humour facétieux, agacée de ses pleurs et se ressaisissant avec belle liberté.
Les Fausses Confidences, texte de Marivaux, mise en scène Alain Françon,
assistanat à la mise en scène Marion Lévêque. Avec Pierre-François Garel, Guillaume Lévêque, Gilles Privat, Yasmina Rémil, Séraphin Rousseau, Alexandre Ruby, Georgia Scalliet, Maxime Terlin, Dominique Valadié. Décor Jacques Gabel, lumières Joël Hourbeigt,Thomas Marchalot, musique Marie-Jeanne Séréro, costumes Pétronille Salomé, coiffures maquillage Judith Scotto, conseil chorégraphique Caroline Marcadé. Du 23 novembre au 21 décembre, mardi, mercredi, jeudi, vendredi 20h, samedi 18h, dimanche 15, au Théâtre Nanterre-Amandiers, Centre dramatique national, 7 avenue Pablo-Picasso - 92022 Nanterre. Tél : 01 46 14 70 00 ; nanterre-amandiers.com
Du 8 au10 janvier 2025, Théâtre de l’Empreinte, Brives. Les 15 et 16 janvier 2025, Scène Nationale Albi. Du 22 au 26 janvier 2025, Théâtre Montansier, Versailles. Les 30 et 31 janvier 2025, Opéra de Massy. Les 12 et 13 février 2025, Théâtre Saint Louis, Pau. Du 25 au 26 février 2025, Maison Culture d’Amiens. Du 4 au 6 mars 2025, Le Quai d’Angers - CDN. Du 18 au 21 mars 2025, Théâtre Jeu de Paume - Aix en Provence. Du 25 au 29 mars 2025, Théâtre municipal - Caen. Du 2 au 5 avril 2025, Scène Nationale d’Annecy. Du 8 au 11 avril 2025, CDN de Saint-Étienne.
Crédit photo : Jean-Louis Fernandez.