Le retour des Huguenots

L’Opéra du Rhin reprend avec à propos le spectaculaire opéra de Meyerbeer inspiré de la Saint-Barthélémy.

Le retour des Huguenots

Il y a un peu moins d’un an, une nouvelle production des Huguenots signée Olivier Py faisait sensation à La Monnaie de Bruxelles (voir l’article de Caroline Alexander du 14 juin 2011). Il est vrai que cet ouvrage éloigné des affiches depuis longtemps, méritait d’être de nouveau dignement représenté, grâce à la réunion d’un chef d’orchestre, d’un metteur en scène et d’une équipe de chanteurs désireux de le restituer à son intégrité. Aux oreilles des berlioziens, en particulier, ce spectacle était nécessaire car Meyerbeer, pour un amoureux de Berlioz, c’est un peu l’antéchrist, celui qui a connu un succès colossal à l’Opéra de Paris dès les années 1830 alors que Benvenuto Cellini, à la même époque, y était cruellement chuté. Le seul souvenir de Robert le diable, représenté au Palais Garnier il y a un quart de siècle ne suffisant pas, par ailleurs, à rendre Meyerbeer présent à nos mémoires.

L’Opéra du Rhin étant le coproducteur du spectacle, nous avons pu revoir ces Huguenots le 18 mars à Strasbourg, sous la direction non plus de Marc Minkowski mais de l’excellent Daniele Callegari, qui n’est pas revenu sur les choix de Minkowski et nous a livré une partition quasiment intégrale (sachant que Meyerbeer n’hésitait pas lui-même à retoucher son travail en fonction des distributions qu’on lui proposait), sans les coupures indéfendables dont souffrent les enregistrements disponibles. Très sollicités, les pupitres de l’orchestre tiennent sans peine la distance, avec une belle dynamique et de belles couleurs instrumentales (les cors, les bassons), malgré la propension du compositeur à faire donner la grosse caisse et les cymbales au moindre prétexte.

Pour être ici irréprochablement respectés dans leur équilibre et leurs proportions, Les Huguenots n’en donnent pas moins l’impression d’un ouvrage assez vain. Par la succession d’airs sans invention mélodique, d’ensembles laborieux et de chœurs martiaux dont il est fait, d’abord. Par l’obsession de la prouesse vocale qui le caractérise, ensuite, prouesse qui n’a rien à voir avec l’ornementation à la manière d’un Rossini ou d’un Donizetti, voire d’un Verdi dans La Traviata  ; ici, les vocalises, les roulades et autres cadences ne font pas corps avec l’ivresse du chant, elles paraissent surajoutées pour à la fois éprouver les chanteurs et les mettre en valeur. De même l’orchestration qui, pour deux ou trois trouvailles bienvenues (l’utilisation de la viole d’amour dans la romance de Raoul ou de la seule clarinette basse dans le trio qui réunit Valentine, Raoul et Marcel), cache par sa complication l’absence de complexité de la musique. Meyerbeer a beaucoup travaillé, mais l’accumulation ne sera jamais un gage d’éloquence. Aucun accord savoureux ici, aucun rythme dépaysant, aucune polyphonie qui captive : cette musique est tout sauf troublante, quand bien même il y passerait quelquefois un souvenir de Weber.

On sent que Gounod ou l’Offenbach des Contes d’Hoffmann ont écouté Meyerbeer, mais Verdi n’y a pas puisé ses meilleures inspirations, et Wagner a su heureusement être lui-même à partir de Lohengrin. Certes, on peut trouver touchant le duo entre Valentine et Raoul au quatrième acte (de même qu’on se souvient d’un seul air marquant dans Robert le diable), mais pour en arriver là, que de flonflons ! Il est vrai que le livret de Scribe et Deschamps (« C’est le jour du dimanche, C’est le jour du repos, Dans une gaîté franche, Oublions nos travaux »), d’une platitude effarante, informe la musique, laquelle ne demande d’ailleurs pas autre chose. George Sand parlait là de « versiculets insignifiants », nous rappelle le très instructif programme de salle conçu par l’Opéra du Rhin.

Défi, exploit, prouesse

Sans mélancolie ni envol, cette musique exige pourtant beaucoup des chanteurs, et c’est l’une des raisons pour lesquelles elle a longtemps disparu des répertoires. A Strasbourg, la distribution reprenait en partie celle de La Monnaie. Gregory Kunde, la diction très acceptable, vient à bout du rôle de Raoul avec une énergie constante et une chaleur qui va croissant au fil des actes. (Sans doute un Jonas Kaufmann ferait-il mieux mais on n’a pas du tout envie qu’il consacre son temps et son énergie à apprendre un pareil rôle.) On saluera la sobriété et la solidité de Marc Barrard (Nevers), on aimera moins l’emphase épuisante de Philippe Rouillon (Saint-Bris) et de Wojtek Smilek (Marcel), mais il est vrai que leurs rôles de fanatiques sont conçus tout d’une pièce. Les rôles féminins sont fort bien tenus, à commencer par celui du page Urbain (parfaite Karine Deshayes) et surtout celui de Marguerite de Valois, supérieurement interprété par une Laura Aitkin qui réussit la prouesse d’être vocalement transparente et charnue à la fois dès son air « Ô beau pays de la Touraine ». Mireille Delunsch est peut-être un degré au-dessous, mais elle jette dans sa Valentine tourmentée une humanité poignante qui n’est pas la qualité première de cet opéra. Quant au chœur, très sollicité, il est ici à son meilleur et se joue des hymnes, des marches, des serments et autres bénédictions ou appels au combat dont fourmille la partition.

Olivier Py est le metteur en scène des antithèses violentes. On a pu applaudir aussi bien la tension qu’il met dans Der Freischütz ou dans La Damnation de Faust que le goût du monumental qu’il exprime dans Mathis der Maler. Mais ses Huguenots ont un air de déjà-vu avec bien sûr des fenêtres et des escaliers spectaculaires, une préférence donnée au noir et au doré des costumes, des éclairages évocateurs, mais aussi un bestiaire de parodie, des danseurs nus, des valises et surtout un étonnant laisser-aller dans la direction d’acteurs qui est dû au fait que Py, peut-être, n’a pas lui-même entièrement repris sa mise en scène à Strasbourg. L’ensemble est cependant efficace, moins saisissant que les deux ou trois autres spectacles qu’on a cités, mais il est vrai qu’un ouvrage aussi démonstratif et aussi convenu n’est peut-être pas de ceux qui emportent le plus l’imagination. Il fallait cependant voir et entendre Les Huguenots pour se faire une idée, et ce spectacle est à cet égard on ne peut plus instructif.

photographie : Mireille Delunch à la fin des Huguenots (photo Alain Kaiser)

Meyerbeer : Les Huguenots. Chœurs de l’Opéra national du Rhin et Orchestre philharmonique de Strasbourg ; Daniele Calligari (direction musicale), Olivier Py (mise en scène), Pierre André Weitz (décors, costumes et maquillages), Bertrand Killy (lumières) ; avec Laura Aitkin, Mireille Delunsch, Karine Deshayes, Gregory Kunde, Marc Barrard, Philippe Rouillon, Wojte Smilek, Xavier Rouillon, Marc Labonnette, Avi Klemberg, Mark Van Arsdale, Arnaud Rouillon, Patrick Bolleire, Arnaud Richard, etc. Représentations suivantes : les 20, 24 et 28 mars à Strasbourg, les 13 et 15 avril à la Filature de Mulhouse.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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