Le Théâtre de la marionnette à Paris s’installe au Mouffetard

Enfin chez soi !

Le Théâtre de la marionnette à Paris s'installe au Mouffetard

Art ancestral en perpétuel combustion, ainsi qu’en a attesté, en septembre dernier, le Festival de la Marionnette de Charleville-Mézières, à quelques exceptions près (à Paris le Théâtre aux Mains nues pas plus grand qu’un mouchoir de poche et à Strasbourg le TJP), la marionnette était SDF, condamnée à un vagabondage peu propice à la reconnaissance et au rassemblement du public autour des œuvres.

Il aura fallu vingt ans d’obstinée conviction au Théâtre de la marionnette à Paris fondé par Lucile Bodson et que dirige aujourd’hui Isabelle Bertola, pour que les choses changent, que l’art de la marionnette soit doté d’un théâtre qui lui soit propre et à partir duquel il peut rayonner. En accord avec la ville de Paris, le Ministère de la Culture et de la communication et le soutien de la Région Île-de-France, le Théâtre Mouffetard devient désormais : Le Mouffetard - Théâtre des arts de la marionnette.

Pour d’emblée enfoncer le clou de l’excellence qui préside à ses activités, il a choisi pour les inaugurer les 4 et 5 novembre prochains, « Hôtel de rive », un spectacle hors normes en même temps qu’une œuvre aussi inclassable que celle de Giacometti qui l’a inspiré. Signé tout à la fois par Frank Soehnle de la compagnie allemande Figuren theater Tübigen et Patrick Michaëlis de la compagnie Bagages de sable, le spectacle, alliage de la marionnette à fil, du théâtre d’ombres et de la vidéo est un envoûtant hommage au sculpteur, traversé de paysages fantasmagoriques que rehausse la musique des cors des Alpes. Chuchotements, murmures de coquillage, frémissements de clochettes qui tintinnabulent, nimbent l’opéra d’images surréalistes de fantaisie et d’enfance.

Une première saison comme un concentré d’histoire(s)

L’objectif du Théâtre de la marionnette à Paris, lorsqu’il s’est fondé en 1992, était de rendre visible l’effervescence et la diversité d’un art qui n’en finit pas d’explorer le champ des formes, de métisser son langage, de battre en brèches les idées reçues qui conjuguent encore trop souvent marionnette et enfance. Doté d’un équipement, sa mission reste la même. « Nous voulons valoriser les arts de la marionnette, faire se croiser les artistes et le public à travers les œuvres, montrer qu’il s’agit bel et bien d’un art d’aujourd’hui, qui parle au présent et jette des ponts vers les auteurs vivants » explique Isabelle Bertola qui a imaginé cette première saison « comme un concentré d’histoire(s). » Celle du parcours du théâtre de la marionnette à Paris en même temps que celui des troupes programmées, en mettant en regard de leur création la plus récente, un de leur spectacle phare qui a participé de leur renommée ou marqué une rupture.Parmi celles-ci : la compagnie Flash marionnettes, celle de Bérangère Vantusso, Trois, six, trente, le Turak de Michel Laubu, également celle d’Emilie Valentin dont on pourra revoir les mémorables Fourberies de Scapin pour comédien et marionnettes programmé avec un non moins stupéfiant Faust et usage de Faust qui tricote mythe et Internet.

Mais tout commencera en somme côté cuisine avec la troupe Label Brut qui a l’art de hisser l’ordinaire des objets hors de leurs frontières et propose une très désopilante et « potagère » version d’Ubu d’Alfred Jarry. Un spectacle pour « comédiens, quelques fruits et beaucoup de légumes » où l’on voit le père et la mère Ubu imposer leur loi « à une armée de pommes de terre, anéantir des courtisans poireaux et terrasser une ribambelle de légumes terrifiés » (du 14 au 17 novembre). A côté de ce spectacle déjanté que n’aurait pas renié Jarry et devenu mythique, le Mouffetard nous propose de découvrir L’Enfer la dernière création de la troupe. Un spectacle aussi vertigineux que troublant, conçu à partir d’un texte de Marion Aubert. Seule dans sa cuisine une femme – la marionnettiste Babette Masson - prépare une pâtisserie pour ses enfants. Tandis qu’elle pétrit la pâte, lui donne toutes sortes de formes comme on sculpte ses obsessions, le texte de Marion Aubert inspiré du Dr Jekyll et Mr Hyde « nous fait entrer dans l’intimité mentale d’un être en lutte contre son « diable gardien » (19 au 24 novembre).

Si l’art de la marionnette ne se cantonne pas au seul jeune public, il ne saurait, non plus, l’oublier. La programmation du Mouffetard lui fait sa juste place, notamment avec la compagnie Atipik ou encore celle du Flash Théâtre qui, à travers Babel France , « fable sociale pour une trentaine de marionnettes de toutes origines », leur parle d’immigration et de métissage, sujet diablement d’actualité.

Elargir le cercle des connaisseurs

Pas décidée à se cloîtrer dans ses quatre murs, l’équipe entend ne rien perdre de son esprit nomade en poursuivant ses collaborations avec ses théâtres partenaires, tels le TGP de Saint-Denis et le Monfort à Paris. Si « les partenariats enrichissent et permettent de croiser les regards », ils permettent également d’élargir le cercle des connaisseurs, visée première du Mouffetard qui entend séduire Paris sans désespérer le quartier où il souhaite également s’implanter par toute une série d’actions culturelles et de manifestations, telle par exemple OMNI-présence où poupées, pantins, objets etc. s’évadent des castelets et des théâtres pour se manifester dans les bars, les boutiques, les bibliothèques, ravivant ainsi notre curiosité et notre regard.

Pour Isabelle Bertola et son équipe, l’installation au Théâtre Mouffetard n’est pas un aboutissement mais le moyen d’amplifier les actions déjà menées et d’en déployer de nouvelles , d’être tout à la fois indispensable centre de ressources, lieu de diffusion mais aussi d’accueil en résidence pour de jeunes artistes afin de favoriser l’émergence et la nouvelle création.
Le Théâtre de la Marionnette n’a pas seulement un toit, il a aussi du pain sur la planche. Il est à souhaiter que les instances qui l’épaulent lui donnent les moyens de ses ambitions.

Le Mouffetard –Théâtre des arts de la marionnette tel 01 84 79 44 44
www.theatredelamarionnette.com

Photos : Hôtel Rive ©H Pogerth et Ch Glötzner / Ubu © Nada theater.

A propos de l'auteur
Dominique Darzacq
Dominique Darzacq

Journaliste, critique a collaboré notamment à France Inter, Connaissance des Arts, Le Monde, Révolution, TFI. En free lance a collaboré et collabore à divers revues et publications : notamment, Le Journal du Théâtre, Itinéraire, Théâtre Aujourd’hui....

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