jusqu’au 8 mai
Le Misanthrope version politique d’après Molière
Alceste chef de cabinet
Sur le mur du fond, un portrait barré de tricolore, dont le visage est imprécis : c’est celui du président de la République qui vient de mourir. A gauche, devant leur ordinateur, Alceste et Philinte parlent des gens qu’ils connaissent et surtout des courtisans qui tournent autour du pouvoir. Alceste ne mâche pas ses mots. On connaît son intransigeance : « L’ami du genre humain n’est pas du tout mon fait. » Le voilà pris, Alceste, entre sa haine du mensonge et la nécessité de composer avec les mondains et les puissants. Car Célimène qu’il aime est la veuve du président défunt. Tout le monde veut plaire à Célimène, qui est là chez elle, dans l’appartement du chef d’état disparu. Alceste joue des coudes parmi les ambitieux qui grenouillent, cherchent à plaire à la maîtresse des lieux et jouent abondamment du smartphone. Quel parti choisira Célimène ? Pas celui du désert, comme le savent tous les lecteurs du Misanthrope.
Dans cette « version politique » de la pièce, Claire Guyot n’a en effet changé ni les vers ni la trame écrits par Molière. Elle a allégé la pièce mais n’a rien ajouté de son cru. Ce qui a changé, c’est le climat, c’est l’époque. Nous sommes aujourd’hui, parmi les gens des antichambres politiques ; ils sont en campagne, font des textes, bipent sur leurs écrans, débattent entre eux. Les « petits marquis » du monde présent n’ont pas de perruque ni de rubans, mais ils portent cravate bleu marine sur chemise bleu clair. On est avec les notables, les officiels, non sur la scène publique, mais au moment du travail feutré et du défoulement verbal, parmi les colonnades d’un appartement hautain, entre les tentations du bureau, de la table et du canapé…
Le projet était risqué. Claire Guyot le mène à bien, finement, sans jamais grossir le trait. Si l’exploration du mental des personnages n’est pas l’obsession première de la mise en scène, la mise en lumière satirique atteint une évidence qu’on n’imaginait pas. C’est bien Molière, mais ce sont aussi les coulisses de Sarko, de Hollande ou de n’importe quelle officine ministérielle ! A la tête de la distribution, Pierre Margot et Julie Cavanna sont particulièrement pertinents : le premier grâce à l’excellente composition d’un d’état d’égarement virant parfois à l’explosion de colères volcaniques, la seconde grâce au dessin d’un beau détachement narcissique et d’une tranquille fluidité dans la tempête. Annick Roux et Edgar Givry sont exacts et singuliers dans les rôles difficiles d’Arsinoë et Oronte. Emanuel Lemire, Nastassja Girard, Denis Laustriat et Benoît du Pac jouent bien cette aisance un peu nerveuse qu’ont les ambitieux cachant leur fébrilité. C’est, de la part de Claire Guyot, une première mise en scène : cette comédienne-chanteuse, dès son premier essai, échappe aux facilités de l’esprit chansonnier et trouve même l’harmonie entre le siècle de Louis XIV et celui des républiques affairistes.
Le Misanthrope vs politique d’après l’œuvre de Molière, adaptation et mise en scène de Claire Guyot, décors de Jean-Michel Adam, lumières de Laurent Béal, costumes de Nadia Rémond, son de Gautier de Faultrier, avec Pierre Margot, Julie Cavanna (Aurélie Noblesse à Avignon), Emmanuel Lemire, Edgar Givry, Nastassja Girard, Benoit du Pac, Denis Lautriat, Annick Roux. Festival d’Avignon au Collège de la salle. 12h45. Résa : 04 90 83 28 17. (Durée : 1 h 50).
Photo Thierry Hugon.