Le Malade imaginaire de Molière
Le jeu de la vérité
Le Suisse Claude Stratz, décédé en 2007, quelques années après la création de sa mise en scène du Malade imaginaire (2001), voyait la pièce comme « une comédie crépusculaire teintée d’amertume et de mélancolie ». Il est vrai que Molière, très malade, mourra à la quatrième représentation, probablement de la tuberculose. Quand Toinette, déguisée en faux médecin, répète mécaniquement « c’est du poumon que vous êtes malade », on mesure le courage de Molière et sa capacité d’autodérision, ou de conjuration.
Stratz considérait l’hypocondrie d’Argan comme le symptôme d’un dérèglement mental. L’Argan d’Alain Pralon était inquiétant, angoissé. Guillaume Gallienne en fait un être à la fois lunaire, tyrannique et capricieux comme peuvent l’être les enfants. Affubler le comédien de couches-culottes ridicules (symboles de l’enfance et du grand âge réunis) ne serait-ce pas le trait burlesque de trop ? Gallienne est un Argan crédule, vulnérable, colérique et pourtant touchant. Terrifié par la mort omniprésente, il voue une confiance aveugle à des charlatans, médecins et apothicaires opportunistes et franchement fourbes, qui l’en préserveraient ; il la simule pour démasquer la duplicité de sa femme Béline et aura aussi pour effet imprévu de révéler l’amour sincère de sa fille Angélique. Faut-il se moquer du benêt, s’indigner de son mauvais caractère, plaindre cet homme victime de ses angoisses hypocondriaques et existentielles ou le soupçonner de simulation pour imposer ses volontés ? C’est qu’on ne doit pas contrarier un malade. Guillaume Gallienne exprime avec nuances la complexité du personnage tout en prenant le parti du rire.
C’est un plaisir de retrouver Alain Lenglet qui interprète le frère raisonnable d’Argan depuis la création du spectacle ainsi que Julie Sicard dans le rôle Toinette (elle était Angélique en 2001) qu’elle joue avec une belle vigueur effrontée. Le duo formé par Monsieur Diafoirus (Christian Hecq) et son fils Thomas Diafoirus (Clément Bresson), futur médecin et gendre présumé d’Argan fait merveille dans la scène piquante de la demande en mariage et du petit compliment. Molière offre aux comédiens l’opportunité de se livrer à de vrais numéros d’acteurs ce dont ils ne se privent pas avec talent. De même la scène entre Angélique (Élissa Aloulla) et Cléante (Yoann Gasiorowski) qui se fait passer pour le maître de musique afin d’échanger avec son amoureuse sous couvert de cours de chant est un régal.
Ce soir-là Louison, la sœur d’Angélique, était interprétée par la petite Mathilde Clément, un feu follet plein de talent. Elle adresse avec malice et aplomb le même « mon papa » à un Argan inquisiteur et se joue de lui avec espièglerie en simulant à son tour la mort pour échapper au harcèlement de son « pauvre papa » ; une petite comédie qui révèle la tendresse du bougon. Mathilde Clément est d’une présence lumineuse, elle joue juste et parle clair.
D’un bout à l’autre, vérité, mensonge, trahisons, masques divers sont au menu de cette tragi-comédie dans laquelle Molière joue bravement à cache-cache avec la mort.
Le Malade imaginaire de Molière. Mise en scène, Claude Stratz. Avec Alain Lenglet, Coraly Zahonero, Marina Hands, Guillaume Gallienne, Julie Sicard, Christian Hecq, Yoann Gasiorowski, Elissa Alloula, Clément Bresson, et, en alternance, Mathilde Clément, Elisa Cronopol, Alice Javary.) ; Elodie Fonnard, Leïla Zlassi (soprano), Jérôme Billy, Etienne de Bénazé (ténor), Geoffroy Bussière, Ronan Debois, Jean-Jacques L’Anthoën (baryton-basse) Jorris Sauquet (clavecin). Scénographie et costumes, Ezio Toffoluti. Lumières, Jean-Philippe Roy. Musique originale, Marc-Olivier Dupin. A Paris, à la Comédie-Française jusqu’au 3 avril 2022. Durée : 2h15.
Résa : 01 44 58 15 15. www.comedie-francaise.fr
© Christian Raynaud De Lage