Au Théâtre de l’Atelier, Paris
Le Dîner, d’après Herman Koch
Bruno Solo incarne à lui seul les quatre personnages de ce cas de conscience familial qui se noue au cours d’un dîner.
En portant à la scène de l’Atelier Le Dîner, roman à succès du Néerlandais Herman Koch (publié en 2009), Jean-Benoît Patricot, qui signe l’adaptation, et Catherine Schaub, la mise en scène, ont fait un choix radical. Celui de confier à un seul acteur, un Monsieur tout le monde qui a le visage et la silhouette bien connus de Bruno Solo pour, dans une "lecture théâtrale" en forme de monologue très resserré, incarner les quatre personnages qui se confrontent au cours d’un dîner crucial pour l’avenir d’une famille.
A charge pour un guitariste perché sur un tabouret dans un coin de la scène de restituer l’ambiance lounge du restaurant chic et cher d’Amsterdam où se tient la rencontre. Mais de temps à autre, des riffs plus agressifs de guitare viennent perturber le déroulement feutré du dîner, exacerbant les moments de tension, de colère ou de révélation, lézardant la façade lisse des personnages. A l’occasion, ce guitariste incarne aussi le serveur du restaurant, qui annonce les plats (très chichiteux), ce qui permet de faire diversion et de retarder au maximum l’entrée dans le vif du sujet, dont on ne connaîtra qu’à la toute fin de cette heure de tension croissante les tenants et aboutissants.
Accompagnés de leur épouse respective, très discrètes, les deux frères ont convenu de se retrouver dans un restaurant à la mode pour parler d’un problème brûlant qui torture la famille. En se référant d’un œil au texte de la pièce qu’il tient dans une main (de plus en plus fréquemment à mesure que le spectacle avance), Bruno Solo, devant un pupitre, assis ou tournant autour de la table pourvue de quatre couverts expose, l’air de rien, les attendus des assises familiales qui vont s’ouvrir. Il se présente comme Paul Lhoman, frère du très populaire Serge, homme politique en pleine ascension qui a toute chance de devenir Premier ministre des Pays-Bas au terme des élections proches.
De quoi s’agit-il au juste ? On l’apprend au fil d’une succession de révélations habilement distillées tout au long du récit. Le premier indice provient d’une vidéo que Paul a surprise dans le portable de son fils. Il y voit, atterré, son fils et son cousin, le fils de Serge, se livrer à un acte atroce dans le sas d’une banque où il vont retirer de l’argent, un soir de bamboche. Acte de barbarie absolument incompréhensible et inadmissible pour ce père qui a été toute sa vie fidèle à des valeurs éthiques qu’il a tenté d’inculquer à sa progéniture (tout en cédant à la violence quand la défense de son fils le demandait). Éducation non couronnée de succès apparemment, constat d’échec terrible !
L’éléphant dans le restaurant
Or non seulement les deux cousins se gaussent de leur « exploit » mais récidivent, comme en témoigne une vidéo de caméra de surveillance dont le film tourne en boucle sur les réseaux sociaux. Si elles permettent à leur père et oncle de les reconnaitre, ces images s’avèrent toutefois insuffisantes pour mettre la police sur la piste des coupables.
Retour au restaurant, il faudra attendre le dessert pour voir enfin l’éléphant entrer dans la pièce, saccager le décorum bourgeois, piétiner toute perspective d’avenir tranquille pour la famille. Reste une échappatoire parfaitement immorale mais terriblement tentante : se taire, couvrir les deux garçons et ne rien révéler à la police qui, pour l’instant du moins, ne les soupçonne pas. A ce dilemme les deux frères vont fournir une réponse différente. Mais, contre toute attente et à rebours des clichés qui stigmatisent les hommes politiques, le plus lâche ne sera pas celui qu’on croit.
Si le choix de Bruno Solo pour donner corps à cette problématique morale très abstraite n’est pas contestable, en revanche, la minceur de l’argument, qui se déroule en une heure en tout et pour tout, laisse un peu le spectateur sur sa faim.
Le Diner d’après Herman Koch, au Théâtre de l’Atelier jusqu’au 1er décembre, vendredi et samedi à 19h, dimanche à 18h, https://www.theatre-atelier.com
Texte : Herman Koch. Adaptation : Jean-Benoît Patricot.
Mise en scène : Catherine Schaub. Lumière : Alexandre Milcent. Composition musicale : Laurent Guillet
Avec Bruno Solo. À la guitare en alternance : Laurent Guillet et Edouard Demanche.
Photo : Bureau Curare – Pierre Antoine Oury