Opéra de Paris - Palais Garnier

Le Couronnement de Poppée

Monteverdi chez les Marx Brothers

Le Couronnement de Poppée

C’est le troisième Couronnement de Poppée de la saison. Après celui obstinément "tendance" du Théâtre des Champs Elysées en octobre 2004 et celui résolument poétique de l’Opéra National de Lyon (voir webthea des 27 octobre 2004 et 27 janvier 2005), en voici un autre, pas vraiment nouveau puisqu’il voyage depuis 1997, mais iconoclaste et provocateur à souhait. Cher Monteverdi, qui décidément en voit et en entend de toutes les couleurs...

Ne pas se fier surtout à l’image du final diffusé un peu partout dans la presse et sur le web, ce pavé mosaïque géant en perspectives ondulantes qui est, il est vrai, de toute beauté. Il vient draper le magnifique duo d’amour de Néron et de sa Poppea enfin couronnée, comme pour faire oublier la laideur des décors, costumes et accessoires des scènes précédentes : le canapé-lit de skaï rouge avachi pour recevoir les princes de Rome, les dieux de l’Olympe et leurs ébats amoureux ; le lampadaire d’autoroute sorti du mur carrelé d’une station de métro ; le mobilier de bureau délabré d’une entreprise en dépôt de bilan ; la porte à tourniquets vitrés d’un palace à l’ancienne au-dessus de laquelle veille l’allégorie de l’Amour tandis que Fortune se pavane le crâne rasé et que Vertu, enceinte comme un ballon, clopine sur deux béquilles... Octavie porte des tailleurs que même la Reine d’Angleterre n’oserait exhiber, Sénèque est un vieillard ivrogne flanqué de disciples en culottes courtes et houppettes jaunes à la Tintin, Arnalta, suivante de Poppée, parade en Dragqueen, la nourrice d’Octavie se prend pour une infirmière de la Croix-Rouge et Poppée elle-même fait de la varappe sur les pitons d’un mur écarlate pour signaler à ceux qui ne l’auraient pas compris que la belle patricienne romaine se dépêche de gravir les échelons du pouvoir.

Salmigondis de prétentions modernes

Quant à Néron, le voilà transformé en paranoïaque hagard que le ténor polonais Jacek Laszczkowski, poussant sa voix naturelle vers les aigus des contre-ténors, gratifie de glapissements hystériques. Le parti pris du metteur en scène américain David Alden se réclame, peut-on lire, de Shakespeare. C’est oublier que les intermèdes comiques des drames shakespeariens ne servaient qu’à entrecouper le fil de leur dénouement tragique par quelques bouffées d’oxygène. Chez Alden et son décorateur Paul Steinberg, le grotesque est quasi permanent et souvent d’un goût si douteux - Nutrice ôtant son slip pour le frotter sous le nez de Valetto, Néron simulant l’acte sexuel sur le cercueil de Sénèque - que personne n’a envie d’en rire. C’est Monteverdi revisité par des Marx Brothers de caniveau. Et c’est bien dommage car sa musique, dans ce salmigondis de prétentions modernes, est à la fête.

Une distribution sans faille

Grâce aux solistes du Freiburger Barockorchester et du Monteverdi-Continuo-Ensemble avec diapason d’époque et instruments garantis anciens que dirigent en parfaite harmonie le chef anglais Ivor Bolton. Grâce à une distribution pratiquement sans faille : Dominique Visse en Frégoli à trois vitesses dans les rôles d’Arnalta, de Nutrice et d’un familier de Sénèque, réussissant, au-delà de ses clowneries, à chanter avec une émotion réelle la merveilleuse berceuse de Poppée, Robert Lloyd, Sénèque désabusé, Monica Bacelli en Octavie mauvaise perdante ou Christophe Dumaux, fragile, trop fragile Othon. Quant à celle qu’on attendait, la belle Anna Caterina Antonacci, qui fut un Néron déjanté dans la production du Théâtre des Champs Elysées, elle n’a pas déçu. Voix chaude, veloutée, sensuelle, elle semble faite pour Poppée. Si parfaitement dans le rôle qu’on pourrait imaginer que, à trois siècles de distance, il fût écrit pour elle.

Le Couronnement de Poppée de Claudio Monteverdi, solistes du Freiburger Barockorchester et du Monteverdi-Continuo-Ensemble, direction Ivor Bolton, mise en scène Davis Alden, décors Paul Steinberg, costumes Buki Shiff, lumières Pat Collins, avec Anna Caterina Antonacci, Jacek Laszczkowski, Robert Lloyd, Dominique Visse, Guy de Mey, Monica Bacelli, Christophe Dumaux... Opéra National de Paris, Palais Garnier, les 8, 11, 14, 17, 22 février à 19h, les 6 et 20 à 14h30. 08 92 89 90 90.

Photo : Eric Mahoudeau

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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