Le Consentement de Vanessa Springora interprété par Ludivine Sagnier.

Une volonté puissante de faire savoir ce qui n’aurait jamais dû être.

Le Consentement de Vanessa Springora interprété par Ludivine Sagnier.

Avoir 13 ans en 1986, et se retrouver, quelques années encore, sous l’emprise d’un « vieux », dirait-on aujourd’hui, cinquantenaire et plus, et pas n’importe lequel, puisque le monsieur écrivain - une aura éblouissante pour la jeune V., encline à la lecture et à la littérature -, Gabriel Matzneff, est fort courtisé dans les milieux de l’édition de l’époque - passage chez Pivot à la télévision, appel téléphonique d’un certain président F.( Mitterrand) qui le félicite, littérairement parlant.

La mère de l’adolescente qui oeuvre d’ailleurs dans l’édition est extrêmement complaisante avec le triste prédateur en vogue ; pourtant, il exerce une emprise - oppression - sur sa fille, comme sur d’autres fillettes et jeunes gens, innocents et fragiles, vu leur âge. L’écrivain, satisfait de lui, n’hésite pas à consigner ces aventures dans ses ouvrages, entre fiction, journal et autobiographie.

Le Consentement de Vanessa Springora rapporte le récit autobiographique de cette prédation sexuelle, littéraire et psychique, d’un homme mature sur une jeune fille à peine en fleurs : des actes qui tombent sous la loi, à l’époque même des faits ; or, le prédateur en était protégé - misère et paradoxe - par son statut d’écrivain, rapporte l’auteure avec la lucidité de la distance et du recul.

Ludivine Sagnier incarne V., accompagnée sur scène par le percussionniste Pierre Belleville, dans la mise en scène ciselée de Sébastien Davis. L’interprète revêt le manteau empoisonné de l’expérience douloureuse et amère - sujet et objet de la narration. Or, elle exprime aussi l’autorité rayonnante, la puissance d’émancipation qui accuse, n’en déplaise à certains, les abus de pouvoir.

A travers le temps, la narratrice a fait la part des choses, et la situation s’est renversée : c’est elle qui porte sciemment le discours, a accès à la parole, apte en définitive à analyser l’épreuve subie. La comédienne, maîtresse de son corps, consciente de ses atouts, et libre encore, pense à voix haute pour le plaisir d’un public acquis à tant de sincérité, de conviction et de persuasion franche.

Ce dont Ludivine Sagnier parle, est universel et touche chacun et chacune en son tréfonds, face à la clarté ciblée de l’évocation des faits et le passage réparateur du temps, entre perte et salut.

Un paravent, sorte d’écran propice aux jeux de lumières et au théâtre d’ombre, permet à la comédienne de s’échapper un temps de la présence du public et du raisonnement propulsé, pour se retrouver - corps nu en transparence - avec elle-même, livrer ses impressions d’inexistence et d’absence d’identité - contre lesquelles il lui faut combattre pour se libérer de liens qui la jugulent.

Elle se penche - rappel de figure antique -, tel un plongeur qui s’apprête à se jeter dans l’eau, et commente les souffrances subies, les sensations de dépossession de soi et de rapt de sa vie. Puis, elle se rhabille - petit débardeur coloré et pantalon de jogging d’ado - et revient sur le devant de scène, face public, décidée, déterminée, solaire, forte d’elle-même, pleine de ses convictions.

Elle fait le récit d’une histoire inconcevable mais consentie par tous les adultes - famille, amis, société littéraire. Comment ont-ils renié leur devoir d’aînés ? N’ont-ils pas été jeunes aussi ?

L’actrice est sûre de sa parole, et le public se tient en arrêt devant la lâcheté consentie et le déni de respect dû aux enfances à préserver, une reconnaissance bien tardive, historiquement parlant, mais qui ne peut que s’imposer durablement - mentalités et imaginaires - grâce à l’ouvrage de Vanessa Springora, ré-haussé encore et mis somptueusement à nu par la prestation magistrale de Ludivine Sagnier- vigueur et humilité dans cette belle volonté de transmettre et de faire savoir.

Le Consentement, texte de Vanessa Springora (Grasset, 2020), mise en scène de Sébastien Davis. Avec Ludivine Sagnier et le musicien Pierre Belleville à la batterie. Création musicale Dan Lévy, scénographie Alwyne de Dardel, création lumières Rémi Nicolas, chorégraphie Dayana Brunord. Du 21 au 30 novembre 2022 à 20h, Théâtre de la Ville, Espace Cardin - Studio, Paris. Du 13 au 15 décembre 2022, Théâtre Château-rouge, Annemasse. Du 4 au 7 janvier, Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon. Les 28 février et 1er mars 2023 à 10h, Théâtre de la Ville, Les Abbesses, Paris.
Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage.

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Véronique Hotte

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