La vie est un songe de Calderon
Le prince au cerveau égaré
Calderon eut une vie suffisamment folle pour écrire une œuvre déraisonnable. Jeune, il fut accusé de meurtre ; vieux, il fut un mystique de haut vol. La vie est un songe ne raconte rien de sa biographie mais entremêle les différents aspects de sa pensée, morale et immorale, élevée mais traversée de sensualité, respectueuse du pouvoir royal mais insolente à l’égard d’une société autoritaire, imprégnée de tragédie mais s’amusant à intégrer légèretés et comédies. Toutes ces composantes mènent à l’interrogation formulée dans le titre : où est la vie réelle, où est le songe ? Où commence la première, où s’interrompt le second ? Ne sommes-nous dans une perpétuelle fiction ?
Le destin du personnage principal, le jeune Sigismond, voit ces interrogations amplifiées par le sort que lui inflige son père, le roi d’une Pologne imaginaire. Un oracle a affirmé que Sigismond sèmerait le malheur autour de lui. Aussi son père l’a-t-il fait enfermer dans une bastille où il a perdu le sens de la liberté et la perception des concepts et du monde concret. Libéré, il prend le pouvoir en monarque incohérent et dangereux. La hiérarchie, les relations entre les uns et les autres, les attractions amoureuses explosent sous l’effet des décisions de ce prince féroce et sans ruse. Vaincu, ré-emprisonné, il résoudra toutes ses contradictions pour devenir enfin un homme d’une grande sagesse.
Ce que propose Christophe Lidon au CADO, c’est une version allégée et resserrée. Michaël Stampe a conçu un texte français qui va à l’essentiel et avance sur les deux fronts du dérèglement psychique et des querelles amoureuses. Un lourd rideau, brun et argenté, toujours en mouvement, impose un climat éthéré, plus philosophique que politique, plus empli d’idées que de réalités, bien qu’une ville se dessine au loin. L’on n’est pas cependant dans l’allégorie, les acteurs donnant au texte la plénitude de son emportement. Gaël Giraudeau, dans le rôle de Sigismond le prince au cerveau égaré, va d’un état d’âme à l’autre avec une juvénilité rêveuse et profonde, dans un jeu aussi musclé qu’intériorisé. Il est remarquable. Gérard Desarthe incarne le roi Basile dans un beau tournoiement impatient. Frédéric Andrau sait insuffler une grâce légère au personnage ambigu d’Astholphe. Valentine Galey dessine bien les allers et retours pensifs d’Etoile. Dominique Pinon dégage toute l’acidité du subalterne malignement appelé Clairon. Jérôme Anger joue un seigneur à la solennité creusé par l’émotion. Enfin, Lina El Arabi compose une Rose (Rosaura dans le texte espagnol) dont elle met bien en relief les douleurs de l’âme adolescente.
Avec ce Calderon justement allégé et compressé pour qu’il ne soit plus une lumière mouvante brillant dans la nuit de l’esprit et de l’Histoire, Christophe Lidon élargit la programmation d’un CADO qui a majoritairement le goût (délicieux) de la comédie mais manquait un peu de la saveur (tout aussi délicieuse, mais moins immédiate) de la philosophie.
La vie est un songe de Pedro Calderon de la Barca, traduction et adaptation de Michael Stampe, mise en scène et scénographie de Christophe Lidon, costumes de Chouchane Abello-Tcherpachian, lumières de Marie-Hélène Pinon, musique de Cyrille Giroux, images de Léonard, avec Frédéric Andrau, Jérôme Anger, Gérard Desarthe, Lina El Arabi, Valentine Galey, Gaël Giraudeau, Dominique Pinon.
CADO, Orléans, 19 h ou 20 h30 selon les jours, tél. : 02 38 54 29 29, jusqu’au 5 avril. Puis en tournée. (Durée : 1 h 50).
Photo Cyrille Valroff.