La musique est-elle romantique ?

Un brillant essai d’Emmanuel Reibel pose une question essentielle : existe-t-il une musique romantique ?

La musique est-elle romantique ?

Hoffmann considérait la musique comme le plus romantique de tous les arts. Qu’entendait-il par là ? Si l’on peut s’accorder sur une définition de la musique, bien que cette définition n’aille pas de soi, on sait que le mot « romantisme » recouvre des mythes et des réalités on ne peut plus divers. Alors, la musique est-elle romantique en soi, ou bien existe-t-il une musique romantique ? C’est tout l’enjeu du livre récent d’Emmanuel Reibel dont le titre même est en soi saturé d’hypothèses : Comment la musique est devenue « romantique ». Avec pour sous-titre : De Rousseau à Berlioz. Car chacun sait que le romantisme, tel un fleuve souterrain, a traversé le XVIIIe siècle pour s’épanouir au début du XIXe. Chacun sait ? Chacun se souvient en tout cas que les manuels scolaires affirment de telles choses, alors que les frères Schlegel, dans leur revue Athaeneum (parue à la toute fin du XVIIIe siècle), annexaient Don Quichotte ou Shakespeare au romantisme. Il est vrai que l’éparpillement des villes dans lesquelles fleurit le romantisme en Allemagne (et dont l’errance d’un Schumann fut le signe) n’est en rien comparable avec le chaudron parisien des années 1820-1830.

Tout est bien sûr dans les guillemets, et l’on devine, à la simple lecture de ce titre, que l’auteur va d’abord s’efforcer non pas de définir mais de cerner ce qu’on appelle le romantisme. Un mouvement ? une période ? une sensibilité ? un genre ? De même que le mot « baroque », le mot « romantique » est en effet redoutablement polysémique. Et quand bien même on ferait académiquement commencer le romantisme musical avec Beethoven, on sait aussi qu’il faut parler non seulement des compositeurs mais aussi de l’interprétation musicale, c’est-à-dire de la réception de l’art.

Depuis que la musique baroque existe en effet, ou qu’on la désigne comme telle (il faut entendre ainsi la musique qu’on disait autrefois ancienne, quand elle est jouée sur instruments d’époque), c’est-à-dire depuis les années 1970, on appelle parfois « interprétation romantique » l’interprétation d’une œuvre du XVIIe ou du XVIIIe siècle sur instruments modernes ; par exemple, une Passion de Bach jouée par l’Orchestre philharmonique de Berlin et dirigée par Karajan. Oui mais quid de la Passion selon saint Matthieu jouée de nos jours comme on imagine que Mendelssohn a pu l’aborder en 1829, c’est-à-dire au cœur de l’époque dite romantique ? « On sait bien aujourd’hui que les catégories du ‘baroque’ et du ‘classicisme’ , postérieures aux œuvres auxquelles elles renvoient, s’apparentent à des constructions tant historiographiques qu’idéologiques formées par la réception », écrit Emmanuel Reibel.

Le fournisseur et le démiurge

On le voit, le débat est sans fin. Il avait déjà été abordé, par exemple, dans le Dictionnaire du romantisme d’Alain Vaillant. Il reste qu’au XIXe siècle, qu’on le veuille ou non, les compositeurs vont envisager différemment leur art et leur position dans la société, ou en dehors de celle-ci. Berlioz ou Mahler jouent aux démiurges, là où un Haydn est encore un fournisseur zélé et scrupuleux, ce qui n’enlève rien à son inspiration. Mais Berlioz coexiste avec d’autres fournisseurs tels qu’Auber ou Meyerbeer, qui servent non plus un prince mais une société, un public, une bourgeoisie – qu’un Berlioz veut dompter et non pas flatter, car il ne joue pas ce jeu-là, lui, c’est l’aristocratie de la sensibilité qu’il veut à la fois exprimer et toucher. Audacieux et libre de toute entrave quand il crée, l’artiste n’a aucune vocation sociale ou progressiste à défendre (et l’on sait que Liszt, philanthrope et optimiste au moins au début de sa carrière, et influencé par les thèses de Lamennais, ne partageait pas le mépris de la politique que professait son ami Berlioz).

Sur les mots « musique » et « romantique », sur les rapports avec les autres arts, sur le pouvoir de la musique, l’interprétation de la musique, le discours sur la musique, Emmanuel Reibel prend son temps. Il analyse, il fouille. Parfois de manière un peu docte (il est ici question de « passé intra- ou extra-diégétique », d’« idiolectes », etc.). Et bien sûr, le problème reste entier, quand bien même la Symphonie fantastique de Berlioz, par sa forme, son contenu (musical et poétique), son année (1830 !) aurait peut-être quelque chose de la partition romantique la plus emblématique. Et quand bien même seraient appelés à la rescousse, en fin de volume, une vingtaine de textes français (signés Berlioz, Liszt, Fétis, d’Ortigue, Berton, etc.) qui ont illustré le débat et qui restent bien éclairants.

Mais ce problème est passionnant, en soi, il interroge les catégories de notre civilisation et la manière dont nous nous appréhendons nous-même. On ne saurait trop recommander la lecture de ce livre à tous ceux qui s’interrogent sur le sens des mots et la manière de saisir à la fois l’essence de l’art et le phénomène artistique.

Emmanuel Reibel : Comment la musique est devenue « romantique ». De Rousseau à Berlioz. Fayard, 2013, 463 p., 25 €.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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