Théâtre du Rond-point, Paris
La Mastication des morts de Patrick Kermann
Chronique rurale
Fidèles à l’auteur qui qualifiait son texte de « polyphonie de l’au-delà », d’« oratorio in progress » Eva Vallejo et Bruno Soulier, qui jouent aux côtés de Corinne Bastat et Pascal Martin-Granel, ont mis en scène l’irreprésentable en noir et blanc. Ils donnent à entendre les mille bavardages qui bruissent la nuit dans un petit cimetière rural, quand les morts, ranimant la flamme du souvenir, redonnent vie à un village entier, avec ses petites et ses grandes histoires, fruits d’une véritable enquête menée par l’auteur.Certains racontent comment « ils ont passé », d’autres évoquent l’image qu’ils ont laissée ou commentent leur état de mort (« comme une lettre à la poste » ; « je ne suis pas morte, je repose, nuance », etc.). De l’appelé à la guerre de 14-18 ou en Algérie au vieux couple qui roucoule au bord de la tombe en se donnant du « mon biquet », en passant par le SDF vexé d’avoir été enterré, lors de l’hiver 1954, avec la mention « anonyme », ou la jeune fille violentée par son père, l’accident de solex, la profanatrice de cimetière, Albert poursuivi par la poisse de la naissance au tombeau, etc.
Dans ce chapelet de paroles solitaires, chacune a sa langue singulière. Du chœur s’élève des solos, et la musique des mots dialogue avec la musique composée par Bruno Soulier. La compagnie a coutume de mêler ainsi théâtre et musique. Si certains passages fonctionnent à merveille, on aimerait que parfois les musiciens, sans s’effacer complètement, se fassent plus discrets, la musique plus murmurée. Souhaitons que ce spectacle donne envie de lire le texte savoureux de Patrick Kermann, plus bel hommage à la mémoire, racines nécessaires pour tenir debout et avancer, que n’importe lequel de nos monuments aux morts qui pavoisent avec leur formule vide « à nos morts ».
La Mastication des morts de Patrick Kermann, mise en scène Eva Vallejo et Bruno Soulier, avec Eva Vallejo, Bruno Soulier, Corinne Bastat, Pascal Martin-Granel, Léa Claessens, Ivann Cruz, Michel Quidu. Au théâtre du Rond-point, jusqu’au 28 septembre à 21h, dimanche 15h30.
Crédit photos : Philippe Delacroix