La Carpe et le Lapin, un cadavre exquis de Catherine Frot et Vincent Dedienne

Soyons fous

La Carpe et le Lapin, un cadavre exquis de Catherine Frot et Vincent Dedienne

Un beau et joyeux mariage que celui-là, union de la carpe (Catherine Frot) et du lapin (Vincent Dedienne) et il est vrai qu’on ne les attendait pas ensemble et dans cet exercice. Comme l’indique le sous-titre, il s’agit d’un cadavre exquis (très exquis) théâtral genre Oulipo, à ceci près qu’ici les choix et agencements des éléments très hétéroclites n’ont que l’apparence du hasard, mais c’est très bien imité.
Une entreprise gaiment foldingue qui caracole à la lisière du ratage sans jamais y tomber, peut-être grâce à la complicité des deux comédiens qui ont franchement l’air de jubiler, de prendre plaisir à nous promener dans cette fantaisie absurde, drôle et poétique avec la gourmandise d’un qui se régalerait d’un gros gâteau au pays d’Alice et de ses merveilles (un gâteau porte ce nom d’ailleurs).
Passé un préambule dans lequel Dedienne nous explique qu’il devait écrire un prologue mais qu’il n’y en aura pas (ce qui fait office de) sur le mode de la prétérition, on découvre sur scène un bric-à-brac dont on retiendra un tapis roulant parcouru par un homme à tête de cheval lisant le journal, ou entraînant les acteurs « malgré eux » dans une dérive au terme de laquelle ils se fracassent la tête contre un obstacle, sur l’air de « ça va aller mal pour l’humanité » (citation de Walter Benjamin). Comme quoi le propos peut être grave aussi. Au fond de la scène des portants chargés de vêtements devant lesquels la statue de cire du général De Gaulle monte la garde. Dans un atelier de couture, ils découpent distraitement des petits morceaux dorés qui finiront à la fin du spectacle en une poétique pluie d’étoiles.

Vincent Dedienne et Catherine Frot ont écrit un texte qu’ils ont enrichi de chansons, de citations, de poèmes de toutes sortes et dont ils ont eu la bonne idée de donner la liste aux spectateurs à la sortie. Catherine Frot interprète à merveille des chansons réalistes sur un ton vaguement canaille mais aussi Bobby Lapointe et son « bobo Léon ». Vincent Dedienne est hilarant dans son interprétation de la chanson "Téléphone-moi" de Nicole Croisille. Ils convoquent pêle-mêle Beckett, Aragon, Verlaine, Duras, Taubira, Delerm, Borgès, Ernaux, Jouvet, Picasso que des artistes très sérieux qu’ils trempent dans un bain moussant de bulles légères et qui côtoient Frédéric Dard, Pierre Palmade ou un extrait du célèbre Dîner de con. Cela finit sur un joli duo écrit par Dedienne et chanté sur un air de Vincent Delerm.
On oubliera bien vite les quelques imperfections, les petites longueurs tant ce spectacle est un baume bienfaisant, un pas de deux facétieux, tendre, poétique, parfois potache assumé, une invitation à prendre la clé des champs, à folâtrer, à pouffer de rire, à emprunter les chemins de traverse plutôt que les autoroutes, une invitation au voyage.

La Carpe et le Lapin, un cadavre exquis de et avec Catherine Frot et Vincent Dedienne. Mise en scène Catherine Frot, Vincent Dedienne, Julie-Anne Roth, avec la collaboration de Serge Bagdassarian (de la Comédie-Française). Piano, Patrick Laviosa et Thomas Février. Chorégraphie, Vincent Chaillet. Scnéographie, Alexandre de Dardel. Costumes, Michel Dussarat. lUmières, Kelig Lebars. Au théâtre de la porte Saint Martin à 20h. Résa : 01 42 08 00 32.

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook