La Bohème entre ciel et neige

L’Opéra Bastille fait revivre le voyage interstellaire de Mimi, Musetta, Rodolfo, Marcello et leurs coéquipiers.

La Bohème entre ciel et neige

ON AVAIT PU SE MOQUER, et à juste titre, de la mise en scène de La Bohème qu’avait signée Claus Guth en 2017 à l’Opéra Bastille. Eh bien, la revoici. Revoici le vaisseau spatial à la dérive, qui figure la mansarde de nos quatre bohèmes. Un vaisseau dans lequel les malheureux vont bientôt manquer d’oxygène et, pris de délire, se remémorer les doux moments du passé. Ce qui permet à Claus Guth, finalement, une fois installés son décor et son concept, de nous proposer une Bohème somme toute assez conventionnelle, une fois qu’on s’est irrité à la lecture du mode d’emploi qui ouvre chacun des quatre tableaux. Et même de nous offrir les deux ou trois poncifs qu’un metteur en scène, aussi inventif fût-il, ne saurait éviter : Rodolfo exprimant son amour naissant pour Mimi devant une caméra et, via cet habile procédé, projetant son image en grand format sur le fond de la scène ; ou Marcello et Rodolfo chantant au dernier tableau dans des micros (factices, bien sûr). Le reste est affaire de doubles (puisqu’il s’agit d’une Bohème en grande partie remémorée), avec un maître de cérémonie assez envahissant, qui lui aussi nous explique à la manière d’un mime ce que la profondeur de la pensée du metteur en scène aurait pu enrober de trop de mystère.

La distribution est entièrement renouvelée à l’occasion de cette reprise. Des quatre compagnons d’infortune, trois sont particulièrement convaincants. Andrzej Filończyk, élégant baryton, arriverait presque à nous faire croire que le peintre Marcello est le rôle masculin le plus important de La Bohème. On s’attriste d’entendre aussi peu l’excellent Simone Del Savio, mais c’est ainsi : au compositeur de la bande, Puccini n’a réservé qu’un rôle mineur. Le superbe Gianluca Buratto, lui, nous réjouit à double titre puisqu’il est Colline (le philosophe) mais aussi le propriétaire Benoît, que Claus Guth n’a pas réussi à faire entrer dans le vaisseau spatial (il est remplacé par le cadavre d’un cosmonaute auquel Colline, par dérision, prête sa voix).

Somnambulisme et music-hall

Le Rodolfo de Joshua Guerrero, en revanche, a toutes les caractéristiques d’un mauvais ténor puccinien : déclamation brutale, sanglots dans la voix, sentimentalité démonstrative, etc. Même privé d’air, Rodolfo mérite mieux. L’espace (du vaisseau ou du théâtre) n’est de toute manière pas une excuse : Ailyn Pérez se fait entendre sans douleur tout en ourlant son chant de fort belles nuances qui font de sa Mimi un personnage suspendu, avec une gravité paradoxale qui est celle du rêve ; sa première intervention prendrait presque le profil d’un air de somnambulisme. La Musetta de Slávka Zámecníková est tout aussi séduisante vocalement et aborde son air du deuxième tableau à la manière d’un numéro de music-hall froufroutant fort réussi. La faconde de Franck Leguérinel, par ailleurs, donne de la vie au duo burlesque qu’elle forme avec Alcindoro.

Les chœurs ne sont pas spécialement favorisés par la mise en scène, mais la Maîtrise des Hauts-de-Seine met de l’animation dans le décor glacé imaginé par Claus Guth et Étienne Pluss. L’Orchestre de l’Opéra de Paris est comme souvent riche de belles couleurs, mais l’immensité de l’Opéra Bastille est très peu faite pour un ouvrage tel que La Bohème qui, rappelons-le, a connu sa première parisienne en 1898 à l’Opéra-Comique. Michele Mariotti connaît bien son affaire, obtient des cordes des moments d’une grande douceur, fait sonner la harpe avec bonheur, mais la sensualité de sa direction se perd dans la froideur éternelle de cet espace presque infini. Dilater aux dimensions de l’univers un plateau et une fosse déjà vastes en eux-mêmes n’est décidément pas la solution pour donner à Mimi la chaleur qui lui manque.

Illustration : Mimi sur une autre planète (photo Guergana Damianova/OnP)

Puccini : La Bohème. Avec Ailyn Pérez (Mimi), Slávka Zámecníková (Musetta), Joshua Guerrero (Rodolfo), Andrzej Filończyk (Marcello), Simone Del Savio (Schaunard), Gianluca Buratto (Colline/Benoît), Franck Leguérinel (Alcindoro), Luca Sannai (Parpignol), Bernard Arrieta (le Sergent des douanes), Pierpaolo Palloni (un Douanier), Paolo Bondi (un Vendeur ambulant), Virgile Chorlet (le Maître de cérémonie). Mise en scène : Claus Guth ; décors : Étienne Pluss ; costumes : Eva Dessecker ; lumières : Fabrice Kebour ; vidéo : Arian Andiel ; chorégraphie : Teresa Rotemberg ; Maîtrise des Hauts-de-Seine (chef des chœurs : Gaël Darchen) ; Chœurs et Orchestre de l’Opéra national de Paris (chef des chœurs : Ching-Lien Wu), dir. Michele Mariotti. Opéra Bastille, 5 mai 2023.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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