Du 24 septembre au 4 octobre 2024 au Théâtre National de Strasbourg.

LACRIMA DE CAROLINE GUIELA NGUYEN

L’exploration d’un artisanat historique et la douleur des intimités.

LACRIMA DE CAROLINE GUIELA NGUYEN

Paris, 2025. Une prestigieuse maison de couture reçoit une commande gratifiante et exceptionnelle : confectionner la robe de mariée de la princesse d’Angleterre. Pendant des mois, dans le secret et un silence sacré, couturières, modélistes, premières d’ateliers et brodeurs, travaillent entre Paris, Alençon et Mumbai, porteurs aussi d’une tragédie intime.

Metteuse en scène, directrice du TNS à Strasbourg, Caroline Guiela Nguyen questionne à travers ses fictions « les récits absents et les corps manquants des plateaux de théâtre ». Après avoir ouvert au public les cuisines d’un restaurant vietnamien, dans SAIGON, après avoir imaginé la disparition d’une partie de l’humanité dans Fraternité, Conte Fantastique, elle jette son dévolu avec LACRIMA  sur le milieu de la confection, racontant l’existence - travail artisanal et difficultés de la vie privée - aux quatre coins du globe, toutes les générations confondues.

Une proposition judicieuse de rêve ou de songe, un voyage onirique passant par la mélancolie et la nostalgie de nos images d’enfance et de contes du passé, ancrés dans un imaginaire couleur sépia - napperons sur guéridon, gants de cérémonie enfantins, corsages, avec des connotations de légèreté diaphane, de matières ajourées ou presque transparentes laissant affleurer à la contemplation du regard la flore et l’art des bouquets.

Caroline Guiela Nguyen, comme à chaque création, prend le temps de se documenter et de rencontrer nombre d’artisans – modélistes, patronniers... La création du voile et sa reprise l’ont renseignée sur le fameux point de dentelle d’Alençon, et les broderies à Mumbaï réalisées traditionnellement par des musulmans, métier transmis de père en fils, les brodeurs indiens représentant une excellence mondiale par leur savoir-faire inégalé.

En même temps, la vie quotidienne et ses difficultés battent leur plein à travers des situations contemporaines familières - enregistrement radio en direct d’Alençon d’un reportage sur les ateliers de dentelle, discussion entre Paris, Londres et Mumbaï sur les termes exigeants d’un contrat commercial. Le brodeur de Mumbaï est en contact téléphonique avec sa fille étudiante. Médecins, ophtalmos, psy, sont près des artisans.

La vie est souvent tragique, matière de prédilection pour l’autrice de LACRIMA (Les larmes), un motif récurrent, tels les dessins sur le voile de la robe de mariée. Cette histoire contemporaine explore les émotions irréversibles et contenues, tenues muettes des années durant et lancinantes - sentiments et expression de la douleur intérieure.

La réussite du projet artistique est éclatante : ouvrir au spectateur le monde de la couture, des tissus, des toiles subtiles, de la dentelle et de la broderie : une merveille. Les interprètes nombreux, certains non professionnels, offrent au regard la dimension chorale et populaire d’un atelier de confection où on travaille ensemble à une oeuvre collective et unique en soi, à travers de nobles enjeux : la beauté et la faisabilité de la robe précieuse.

Et en même temps, la vie de chacun et de chacune suit son cours, presque effacée par l’attention extrême qu’exige pour sa réalisation, l’accomplissement de la parure entière. Or, la violence subie - sourde et masquée - n’en est pas moins présente dans la vie de l’un ou de l’autre, sous la forme de maladie des yeux (Abdul à Mumbai) ou de maladie génétique (la petite-fille de Thérèse à Alençon), ou, quant à la vie personnelle de la première d’atelier (Marion à Paris), pour laquelle tout semble réussir mais qui vit l’enfer chez elle, auprès d’un mari violent qui la harcèle et la détruit, collaborateur d’atelier.

Les interprètes sont vivement impliqués, présents dans l’aventure scénique, premiers ou seconds rôles : Dan Artus, Dinah Bellity, Natasha Cashman, Charles Vinoth Irudhayaraj, Anaele Jan Kerguistel, Liliane Lipau, Nanii, Rajarajeswari Parisot, Vasanth Selvam.

Belle intensité solaire de Maud Le Grévellec dans le rôle de première d’atelier qui allie dignité et respect de l’autre, attentive aux employés mais négligeant sa vie privée. Elle concilie jusqu’au déchirement la fragilité et la force de vie, osant s’opposer enfin à l’emprise de son conjoint.

Un théâtre populaire de grande dignité et d’unanimité - façon Mnouchkine -, et LACRIMA, à sa façon, signe magistralement l’oeuvre-monde singulière de Caroline Guiela Nguyen.

LACRIMA, texte et mise en scène Caroline Guiela Nguyen (édit. Actes Sud-Papiers), traductions Nadia Bourgeois, Carl Holland, Rajarajeswari Parisot (langue des signes français, anglais, tamoul), collaboration artistique Paola Secret, scénographie Alice Duchange, costumes Benjamin Moreau, musique Jean-Baptiste Cognet, Teddy Gauliat-Pitois, Antoine Richard, son Antoine Richard, lumière Mathilde Chamoux, Jérémie Papin, vidéo Jérémie Scheidler. Avec Dan Artus, Dinah Bellity, Natasha Cashman, Charles Vinoth Irudhayaraj, Anaele Jan Kerguistel, Maud Le Grevellec, Liliane Lipau, Nanii, Rajarajeswari Parisot, Vasanth Selvam, et en vidéo Nadia Bourgeois, Charles Schera, Fleur Sulmont. Et les voix de Louise Marcia Blévins, Béatrice Dedieu, David Geselson, Kathy Packianathan, Jessica Savage-Hanford. Du 24 septembre au 3 octobre 2024, au Théâtre National de Strasbourg. Les 20 et 21 novembre à La Comédie- CDN de Reims. Du 7 au 11 décembre,Théâtre du Nord - CDN Lille Tourcoing Hauts-de-France. Les 18 et 19 décembre, Tandem, Scène nationale d’Arras-Douai. Du 7 janvier au 6 février 2025, Odéon-Théâtre de l’Europe (Paris). Du 13 au 21 février 2025, Les Célestins, Théâtre de Lyon. Du 26 au 28 février 2025, Théâtre National de Bretagne Rennes .

 Crédit photo : Jean-Louis Fernandez.

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Véronique Hotte

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