Critique – Opéra – Classique

LA JUIVE de Jacques Fromental Halévy

Superbe mise en scène d’Olivier Py au service d’un chef d’œuvre définitivement sorti de l’oubli

 LA JUIVE de Jacques Fromental Halévy

Gris argent frémissants, noirs charbonneux harnachant des troncs d’arbres décharnés, échafaudages mobiles, volées d’escaliers, lumières en clair-obscur tamisé : d’emblée l’esthétique chère à Olivier Py s’affiche dans la magnificence des décors que Pierre-André Weitz a conçus pour sa mise en scène de La Juive de Jacques Fromental Halévy à l’Opéra de Lyon, point culminant de son festival « Pour l’Humanité ». A voir, à entendre, une réussite au service d’un chef d’œuvre qui, après une longue traversée du désert de l’oubli, reprend vie sur les scènes de France et d’ailleurs.

C’est au regretté Gérard Mortier que l’on doit sa première résurrection à l’Opéra Bastille en février 2007 (voir WT 1078). Il y a tout juste un an, l’Opéra de Flandres/ Vlaanderen Opera, le mettait à l’affiche à Gand et à Anvers (voir WT 4598). Des projets sont en cours à Munich, à Strasbourg… Le chef d’oeuvre est définitivement réhabilité.

Etrange destinée que celle d’ouvrages ayant connu gloire et succès à leurs créations et qui, soudain ou peu à peu selon les circonstances, sont remisées au placard. La Juive connut un triomphe à sa création en 1835. 40 ans plus tard, ses deux premiers actes furent même représentés lors de l’inauguration du Palais Garnier. Six cents représentations avant le tombé de rideau de 1934. Un record

Plaidoyer pour la paix

Par son titre, par son sujet elle a toujours dérangé, cette Juive. Son thème répondait à une vague d’antisémitisme dont le chrétien Eugène Scribe (1791-1861) retrouva des échos dans les archives du Concile de Constance de 1414. Il en fit un mélodrame, un plaidoyer pour la paix. Jacques Fromental Halévy (1799-1862), de confession juive, lui injecta une musique dont la richesse et la générosité en fit l’un des archétypes du grand opéra à la française si cher au 19ème siècle.

Dès 1934, dans le vent de judéo-phobie diffusé de Hitler à Pétain et qui allait conduire à la solution finale, elle disparut corps et biens. Son romantisme flamboyant, passé de mode après la guerre, la maintint encore dans les oubliettes durant quelques décennies. Aujourd’hui il nous inonde par la force et la grâce de ses sonorités. Et son chant de tolérance, de reconnaissance de l’autre, de celui qui est différent, qui vient d’ailleurs s’inscrit, hélas, dans une actualité qui en ce moment même bouleverse notre quotidien.

Son histoire stigmatise les fanatismes religieux. Elle nous présente Eleazar, juif pieux qui pratique sa foi en toute discrétion au sein du noyau familial qu’il forme avec sa fille Rachel. Au dehors, les chrétiens imposent leur culte, qui ose s’y dérober doit mourir. Le joaillier Eleazar poursuit son travail un jour de fête chrétienne. Sa condamnation tombe aussitôt. Et avec la sienne celle de Rachel, l’enfant sauvée dont il a fait sa fille… Désirs amoureux, tromperies et secrets politiques s’entrecroisent. La vengeance au final glorifie le courage des femmes.

Un pont entre les âges

Subtilement, Olivier Py escamote le métier d’Eleazar. Né du peuple du livre, il en fait un lettré qui travaille dans les immenses rayonnages de sa bibliothèque. Il est un homme de pensée, d’écriture. Le cadeau que la princesse Eudoxie vint lui acheter n’est plus un bijou, mais un livre rare. Comme s’agissant d’une évidence, Py opère un pont entre les âges et les conséquences de l’antisémitisme, cette haine confuse jaillissant de façon récurrente depuis la diaspora des juifs commencée un demi-siècle avant notre ère. Costumes intemporels d’aujourd’hui comme d’hier, étoiles de David, en symbole ou rejet, fumées grises de crématoires… les signes prémonitoires de la Shoah sont annoncés comme en filigrane. Une seule fois l’allusion est directe avec, dans un silence, entre deux mouvements musicaux, la chute fracassante et glaçante de chaussures tombant des cintres.

Chanteurs-acteurs habités

Fidèle à ses méthodes Py dirige avec acuité ses chanteurs dont il fait des acteurs habités. Leopold/Samuel, mari d’Eudoxie, amant de Rachel, trouve en Enea Scala un personnage fuyant, tiraillé entre désir et devoir, la voix un rien étroite dans ses premières scènes mais qui peu à peu prend de l’ampleur. Brogni, le cardinal tour à tour compatissant et intraitable a les graves usés mais toujours pleins d’or de la basse Roberto Scandiuzzi, Vincent le Texier met du tranchant de lame dans Ruggiero. Sabina Puértolas, ravissante soprano espagnole, rodée aux musiques anciennes, compose une Eudoxie de cinéma. Une soeur de Marilyn, blonde oxydée, nue sous une robe de dentelle noire, enfilant ses bas écarlates tout en lançant ses radieuses vocalises vers la Rachel pudique de Rachel Harnisch, présence magnétique au jeu retenu et à la voix de velours. Les deux timbres, tout comme leur jeu intense, s’unissent superbement dans leurs différents duos.
Eleazar par le ténor Nicolai Schukoff surfe sans défaillance sur les deux faces de son personnage, bienveillance et douceur du père, fermeté et exigence de l’homme de foi. « Rachel quand du Seigneur », son grand air entré dans la légende comme « La fleur que tu m’avais jetée » de Bizet, même amputé de sa cabalette, chanté du murmure à la supplication, fait passer des frissons dans la salle.

A 33 ans à peine, Daniele Rustioni, le jeune chef d’orchestre qui sera dès septembre 2017 chef permanent de l’Opéra de Lyon, confirme que ce choix est le bon. Il a de l’énergie à revendre, une fougue musicale capable de se nuancer de couleurs intimes. Avec lui l’orchestre maison fait résonner l’âme et les muscles des palettes sonores d’Halévy, tandis que les chœurs, exemplaires, se chargent d’en étoffer les périmètres.

La Juive de Jacques Fromental Halévy, livret d’Eugène Scribe, Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon, direction Daniele Rustoni, chef des Chœurs Philip White, mise en scène Olivier Py, décors et costumes Pierre André Weitz, lumières Bertrand Killy. Avec Nikolai Schukoff, Rachel Harnisch, Sabina Puertolas, Enea Scala, Roberto Schandiuzzi, Vincent Le Texier, Charles Rice, Paul-Henry Vila, Brian Bruce, Alain Sobieski .

Opéra de Lyon , les 16, 19, 23, 25, 30 mars et 1er avril à 19h30, le 3 avril à 16h

04 69 85 54 54 – billetterie@opera-lyon.com

Photos Stofleth – Opéra de Lyon

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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