L’instant du baryténor
Ténor puis baryton puis de nouveau ténor, l’espace d’une soirée, Michael Spyres donne salle Gaveau un récital qui est aussi un modèle d’intelligence musicale.
BARYTÉNOR : LE MOT EST ÉTRANGE mais dit bien ce qu’il veut dire. Le baryton-basse n’est ni tout à fait une basse, ni tout à fait un baryton, mais le baryténor est à la fois un baryton et un ténor. Telle est aujourd’hui la double tessiture de Michael Spyres. Ténor, il a donné la preuve de son talent à l’Opéra Comique en 2019 dans Le Postillon de Lonjumeau, pour ne citer qu’un titre, partition réservée aux ténors d’une grande agilité. Mais aussi dans les rôles de Berlioz, qu’il a presque tous abordés (Énée, Faust, Benvenuto, Horatio et la voix imaginaire de l’Artiste dans Lélio, sans oublier le Sanctus du Requiem, en attendant le Te Deum à la Scala et le Récitant dans L’Enfance du Christ).
Mais baryton ? « Ayant débuté comme baryton, j’ai passé dix ans à me transformer en ténor, et au cours de ma carrière, j’ai chanté quatre opéras en tant que baryton contre environ soixante-quinze en tant que ténor », raconte Michael Spyres, qui vient d’enregistrer « BariTenor », un album-récital couvrant trois siècles d’opéra italien, allemand et français, d’Idomeneo à Die tote Stadt, avec l’Orchestre philharmonique de Strasbourg placé sous la direction de Marko Letonja*.
Dans le cadre du cycle « L’Instant lyrique », qui a quitté l’Éléphant Paname pour la salle Gaveau, Michael Spyres s’est offert le luxe d’un récital à la suite des représentations de Fidelio à l’Opéra Comique. À tout seigneur, tout honneur, il commence avec Berlioz et interprète une version paradoxalement rare des Nuits d’été. Rare, car on a pris l’habitude d’entendre ces six mélodies interprétées par une voix féminine et un orchestre. Paradoxale, car Berlioz a d’abord écrit ses Nuits d’été pour mezzo-soprano ou ténor et piano, vers 1840-1841, avant de les orchestrer à partir de 1843. C’est donc là un retour à la volonté première du compositeur (même si on joue désormais, arrangée pour le piano, l’introduction instrumentale qu’ajouta Berlioz au « Spectre de la rose » quand il en fit l’orchestration).
Lancinant refrain
Tout commence de manière allante et espiègle avec la « Villanelle », mais pour les deux mélodies suivantes Michael Spyres assombrit tout à coup sa voix ; il est vrai que ces pages sont d’une mélancolie poignante et que le ténor peut d’un seul coup suggérer ainsi le drame, qu’il ne cherche pas à souligner à grand renfort d’effets : le travail sur le timbre et le soin apporté au phrasé suffisent. Avec « Absence », la voix claire du début est de retour, qui réussit à donner un profil différent à chaque retour du lancinant refrain « Reviens, reviens, ma bien-aimée ». « Au cimetière », qui permet à Michael Spyres le plus d’effets (mais toujours en situation), est un modèle de finesse et de jeu sur les clairs-obscurs, avant que « L’Île inconnue » renoue avec l’ambiance légère du début.
La partie de piano des Nuits d’été a été écrite par un compositeur qui ne pratiquait pas le piano, précisément, et peut sembler étrange (ce qui est une vertu) à certains instrumentistes. Mathieu Pordoy, qui accompagne ici Michael Spyres, se fait plaisir avec le Sonnet de Pétrarque n° 123 de Liszt, et un peu plus tard avec À la manière de… Chabrier (Paraphrase sur un air de Gounod) de Ravel. Michael Spyres, lui, nous offre une deuxième partie composée de deux airs de Mozart (l’un des Noces de Figaro, l’autre de Don Giovanni) et surtout d’un « Largo al factotum » du Barbier de Séville qui est un sommet. Voix de poitrine, voix de tête, voix mixte, il passe de l’une à l’autre avec une aisance confondante, s’amuse autant avec les mots qu’avec les intentions, parodie, enfle ou diminue la voix avec une intelligence comique loin de tout cabotinage.
Décontraction joueuse
La troisième partie est consacrée au répertoire français : un extrait de L’Heure espagnole, abordé comme si de rien n’était, avec un détachement délicieux (et une diction impeccable), puis le fameux air du Postillon de Lonjumeau « Mes amis, écoutez l’histoire » : le baryton est redevenu ténor ! Et puis, en guise de premier bis, « Ah mes amis, quel jour de fête » de La Fille du régiment, abordé comme l’air précédent avec une décontraction joueuse et un aplomb rythmique confondant. On se détend avec un deuxième bis extrait de La Veuve joyeuse, « Da kam ich zu Maxim », puis avec une délicieuse chanson qui mêle l’anglais et le français.
Un récital comme celui-ci laisse pantois devant le brio et le plaisir avec lesquels le chanteur passe d’une tessiture à l’autre, d’un répertoire à l’autre. Où va nous emmener Michael Spyres, lui qui marche sur tous les chemins ?
* 1 CD Warner/Erato.
Illustration : Mathieu Pordoy et Michael Spyres à la Salle Gaveau (photo Cédric Le Dantec / Agence Supernova)
« L’Instant lyrique » : Michael Spyres, baryténor. Salle Gaveau, 4 octobre 2021.
Michael Spyres chantera Les Nuits d’été avec l’Orchestre philharmonique de Strasbourg dirigé par John Nelson, les 13 et 14 octobre, au Palais de la musique et des congrès de Strasbourg ; il se produira de nouveau le 5 novembre dans ce même lieu, et sera le 19 mai au Théâtre des Champs-Élysées dans le cadre du cycle « Les grandes voix ».
Prochain rendez-vous de l’Instant lyrique : avec Marie-Nicole Lemieux et Daniel Blumenthal, le 18 novembre.