Du 7 au 25 janvier 2025 au Théâtre 14
L’Evénement d’Annie Ernaux par Françoise Gillard de la Comédie-Française.
La douleur d’un récit fondateur de l’émancipation féminine.
L’auteure Annie Ernaux – Prix Nobel de Littérature 2022 – retrace le parcours bouleversant d’une jeune femme qui, dissimulant sa grossesse, se lance dans la quête désespérée d’une possible délivrance. L’Événement, publié en 2000 à l’âge de soixante ans, relate trois mois de sa vie, en 1963, à vingt-trois ans, vivant dans une résidence étudiante à Rouen, entre octobre 1963 et janvier 1964.
Ces trois mois séparent la période où elle se découvre enceinte et les jours qui suivent son avortement. Un temps immensément étiré de solitude et d’isolement - nul soutien amical et encore moins maternel - la mère aux lourds préjugés est délibérément maintenue dans l’ignorance. La tension de l’attente en est d’autant plus oppressante que la résolution de l’isolée - livrée et abandonnée à elle-même - se fait en pleine conscience de soi et de ses choix existentiels, se heurtant aux fers de la morale et à la violence d’un monde à domination masculine.
Face à une « faiseuse d’anges », la femme blessée fait le récit de sa renaissance en tant que femme, ayant touché la mort, se libérant du coup du joug maternel pour accéder enfin à la vie vraie, et être elle-même. Cette confession nécessaire n’efface qu’une culpabilité : l’« événement » lui est arrivé et l’auteure n’a pas pu, pendant longtemps, l’inscrire dans un geste d’écriture, afin de le partager. La chose est faite à présent.
Extraits de L’Evénement : « AVORTEMENT : Sont punis de prison et d’amende 1. l’auteur de manœuvres abortives quelconques 2. les médecins, sage-femmes, pharmaciens, et coupables d’avoir indiqué ou favorisé ces manœuvres 3. la femme qui s’est fait avorter elle-même ou qui y a consenti 4. la provocation à l’avortement et la propagande anticonceptionnelle. L’interdiction de séjour peut en outre être prononcée contre les coupables, sans compter, pour ceux de la 2 catégorie, la privation définitive ou temporaire d’exercer leur profession. Nouveau Larousse Universel, édition de 1948. »
Françoise Gillard est cette jeune femme éternelle de ce temps-là qui se souvient et établit clairement la situation - la sienne dans une jeunesse mise à distance, jouant entre les temporalités diverses de là-bas à maintenant, s’adressant aux spectateurs avec à la fois une belle humilité et une clairvoyance simplement sûre d’elle-même. La comédienne dit en souriant les vexations essuyées, le regard pusillanime des médecins, et l’ironie de certains hommes qui la voyaient aussitôt en « fille facile ».
L’insoutenable a été subi par des femmes - jeunes ou moins - qu’on dirait, si le mot n’était galvaudé, « méritantes » d’avoir combattu, à leur corps défendant au sens propre, avec une réelle conviction et une audace inédite, l’absence de Lumières d’un Moyen-Age moral pas si éloigné de nous, qui osait condamner la gente féminine à une humanité minorée.
L’Evénement d’Annie Ernaux, conception et interprétation Françoise Gillard,
collaboration artistique Denis Podalydès, lumières Stéphanie Daniel, costumes Bernadette Villard, assistanat à la mise en scène Amélie Wendling. Production Comédie-Fançaise, spectacle créé en 2017 au Studio-Théâtre. Du 7 au 25 janvier 2025, mardi, mercredi, vendredi 20h, jeudi 19h, samedi 16h au Théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier 75014-Paris. Tél : 01 45 45 49 77, www.theatre14.fr
Crédit photo : Vincent Pontet, coll. Comédie-Française.