Critique – Opéra-Classique

L’ENFANT ET LES SORTILEGES de Maurice Ravel et Colette

A Montpellier les ados d’Opéra Junior affichent toujours avec bonheur leur passion de la musique

L'ENFANT ET LES SORTILEGES de Maurice Ravel et Colette

Un peu moins d’un an après avoir fait scintiller L’Etoile de Chabrier (voir WT 4079 du 1era avril 2014), la bande d’adolescents montpelliérains d’Opéra Junior mettent en espiègleries musicales les sortilèges que Maurice Ravel a fait jaillir du poétique livret de la grande Colette.

Opéra Junior, rattaché à l’Orchestre-Opéra national de Montpellier n’a pas d’équivalent dans les autres maisons d’opéra de l’Hexagone. Si un certain nombre d’entre elles animent des structures de perfectionnement pour jeunes interprètes (à Paris, à Strasbourg, à Lyon) aucune ne s’adresse aux amateurs mineurs ou jeunes adultes, de 6 à 20 ans, quelques fois légèrement au-delà, pour les mordus qui ont décidé d’en faire leur métier.

Créé en 1990 Opéra Junior est depuis 2009 sous la vigilance pédagogique du chef d’orchestre Jérôme Pillement qui manifestement se régale d’initier aux mystères de la musique ces bandes de gamins et gamines qui des CE1 aux classes de terminales, puis universitaires dévorent son apprentissages avec des appétits gourmands. Pour les plus jeunes – classes élémentaires – l’accès est libre sur simple demande, pour les grands (collèges, lycées etc…), l’admission est conclue après audition, davantage axée sur les motivations spontanées que sur la connaissance théorique déjà acquise ailleurs

Public de tous les âges

Une fois par an, ces derniers – parfois renforcés par de jeunes déjà professionnels -, un spectacle complet est monté avec metteur en scène, décorateur, costumier et même vidéaste. Depuis que Valérie Chevalier a pris la direction de l’Opéra de Montpellier, ce défi Ravel – car c’en est un de taille même si la performance dure moins d’une heure – est donc le deuxième spectacle complet qu’ Opéra Junior présente aux publics de tous les âges. Qui, comme dans Tintin, de 7 à 77 ans (et plus) manifestent leur plaisir par leur attention, leurs rires et leurs applaudissements.

Après Benoît Benichou, c’est à une autre nouvelle venue à la mise en scène qu’a été confiée la réalisation du spectacle. Nouvelle venue pas vraiment puisque Sandra Pocceschi ex-danseuse et chorégraphe, ancienne régisseuse fut l’assistante de quelques grandes pointures de la mise en scène comme Mariame Clément, Roméo Castellucci ou Alex Ollé de la fameuse Fura del Baus. Des compagnonnages qui expliquent sans doute son refus d’aborder une œuvre – fut-elle destinée aux enfants – au premier degré de son histoire, de son récit, de son déroulement scénique. Dans le programme, ses notes d’intention révèlent une lecture analytique fouillant les méandres de la psychanalyse et du symbolisme (« Le pendule arraché suspend le temps, cordon ombilical et fil d’Ariane le pendule, trace de l’écriture et fil de la discursivité, le fil du pendule accompagne l’enfant dans son voyage dolent….. » et pour conclure « le Jardin se fait Monde et l’Enfant y est partie et non plus centre en attente de la prochaine question. Le matricide symbolique et l’imaginaire qui suintent de l’œuvre… »)

Méchant enfant ! - Mais chante enfant !

On ne verra donc pas la chambre où l’enfant censé faire ses devoirs est grondé par sa mère, ni les objets qui la meublent et qu’il va saccager avant de les laisser folâtrer dans son imaginaire.
Le rideau se lève sur un espace vide, où derrière un tulle transparent, l’enfant écoute en voix off les gronderies de sa mère. Sa réprimande « méchant enfant ! », devient, tracé en lettres grises sur toile blanche, « mais chante enfant ! » Sandra Pocceschi abandonne tout réalisme pour transporter les spectateurs dans le cerveau de l’enfant, dans ses songes et ses chimères, un univers de personnages gris qui tour à tour deviennent horloge, fauteuil, théière, tasse, chat, écureuil ou arbre sans jamais en prendre les contours visibles. Cela crée de très belles images dans les décors minimalistes de Giacomo Strada, les lumières et vidéos oniriques de Geoffroy Duval, peuplées de globes, de bulles, de lunes et d’enfants déguisés en cour de récréation, mais pas simples à replacer dans leur contexte originel sans mode d’emploi préalable.… D’autant que les objets eux-mêmes sont désignés en toutes lettres par des fantaisies d’orthographe (allusion aux fautes de grammaire de l’enfant ?) où le fauteuil s’écrit « faute-œil », la bergère « berge erre », la théière « t’es y erre »…

Monsieur Arthmétique rappeur

Le baryton Olivier Brunel, un ancien de la troupe passé pro, claudique avec aplomb en Horloge ayant perdu le sens de l’heure tandis que la soprano Dima Bawab reprend en virtuose les vocalises du Rossignol et les embrasements du Feu, deux rôles qu’elle a déjà chantés (notamment à Aix-en-Provence). Ils sont les deux seuls professionnels de la troupe. Mais dans celle-ci on retrouve quelques jolies voix déjà remarquées il y a un an : Lysa Barthélémy, Chatte miaulante d’amour pour son Chat (Camille Poirier, nouveau venu à découvrir), Alyzée Clavaud (la Pastourelle)et surtout Marie Sénié, décidément vouée aux rôles de Princesse, ici dans l’émotion du jeu et des aigus qui rutilent. Anya van den Bergh en Enfant à la fois gracile et volontaire, Léna Chevrot Roche/Tasse Chinoise, Gaspard Ferret/Rainette et Théière, et la surprenante, trépidante Elysa Brodu, Petit Vieillard qui met du rap et des accents de contralto pour devenir monsieur Arithmétique. On pourrait les citer tous, la vingtaine de solistes, la dizaine de Bêtes montées sur ressorts et tous ceux et celles qui font battre le pouls du Chœur du Jeune Opéra.

Jérôme Pillement apparaît en veston pailleté de cirque mais l’abandonne dès qu’ il se glisse dans la fosse pour diriger les musiciens de l’Orchestre National de Montpellier (il le revêtira aux saluts). Direction sensible et bien rythmée de cet éblouissant patchwork musical ravélien dont les soubresauts insolents couvrent parfois – brièvement - les si jeunes voix.

L’Enfant et les Sortilèges de Maurice Ravel et Colette. Orchestre National de Montpellier Languedoc-Roussillon, direction Jérôme Pillement, , chœurs du Jeune Opéra et d’Opéra Junior, chef de chœurs Vincent Recolin, Noëlle Geny, chef de chant Anne-Pagès Boisset, mise en scène Sandra Pocceschi, décors Giacomo Strada, costumes Cristina Nyffeler, lumières et vidéo Geoffroy Duval. Avec Dima Bawab, Olivier Brunel, les solistes du « Jeune Opéra » et les « pensionnaires « d’Opéra Junior.

Montpellier – Opéra Comédie – du 26 février au 1er mars 2015

www.opera-orchestre-montpellier.fr – 04 67 60 19 99

Photos Marc Ginot

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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