L’Autre Fille d’Annie Ernaux
La soeur vivante et la soeur absente
Curieusement, Annie Ernaux est l’un des auteurs les plus joués de cette rentrée. Elle n’a pourtant jamais écrit de théâtre ! Mais ses récits et romans sont d’une voix intérieure qui prend une très belle résonance une fois dits ou joués. A présent, aux Années montée par Jeanne Champagne et à L’Occupation transposée par Pierre Pradinas et Romane Bohringer, en attendant d’autres créations, on peut ajouter L’Autre Fille interprétée par Marianne Basler. Très troublant récit que ce texte où l’auteur s’adresse à sa sœur qu’elle n’a pas connue, car elle est morte de maladie deux ans avant qu’elle, Annie, voie le jour. Mais elle a pris sa place, endossé les vêtements d’enfant qu’elle a laissés, entendu parler de cette absente que personne ne peut oublier et qui n’est pourtant évoquée qu’en filigrane. « Est-ce que je t’écris pour te tuer ou te ressusciter ? », écrit la sœur vivante. Il lui faudra passer par beaucoup de douleur, de cruauté, d’élucidation pour atteindre une atteindre une attitude pacifiée et presque une camaraderie avec la disparue dont elle aimerait irrationnellement que tous ces mots écrits lui parviennent un jour.
Marianne Basler et Jean-Philippe Puymartin ont choisi la voie la plus simple et la plus pure. Le double d’Annie Ernaux, que joue Marianne Basler, est à une table, dans l’angle droit de la scène, et écrit. Elle se déplacera un peu mais le jeu est avant tout intérieur et littéraire, pour que tout soit donné à partir du langage. Mais ce n’est pas seulement une diction. L’actrice opère tout un voyage intime et suit un chemin brisé où le personnage est lui-même fracturé. Ce trajet dans l’anxiété et parmi les questions si longues à livrer leurs réponses est fait dans la douceur. Ici même la violence est douce. Car telle est Marianne Basler, parfait double d’Annie Ernaux, feutrée même au plus tranchant de la parole.
L’Autre Fille d’Annie Ernaux, mise en scène de Jean-Philippe Puymartin et Marianne Bassler, lumières de Franck Thévenon, musique de Vincent-Marie Bouvot, collaboration artistique d’Elodie Menant, avec Marianne Basler.
Les Déchargeurs, 21 h 30, tél. : 01 42 36 00 50, jusqu’au 1er décembre. Puis Nuithonie-Vilard sur Glane (6 et 7 février), Nevers (12 mars), Marseille (Bernardine, 24-28 avril). (Durée : 1 h 10).
Photo Julien Piffaut.