Critique -musical

KISS ME KATE de Cole Porter

Shakespeare swingué, sa mégère apprivoisée

 KISS ME KATE de Cole Porter

Wunderbar – magnifique ! Le refrain valse aussitôt dans les têtes, les airs se succèdent, du swing, du jazz, de la musique qui met des fourmis dans les jambes, I hate men, Too darn hot, Why can’t you behave, So in love. Le génie de Cole Porter prend vie sur la scène du Châtelet qui, une fois de plus tire un grand coup de chapeau aux comédies musicales américaines : Kiss me Kate en est l’un des fleurons. Il a bien failli, après le triomphe de sa création à New York en 1948 (1000 représentations) et malgré le film qu’en tira George Sydney en 1953,tomber dans les oubliettes.

Depuis 2006, Jean-Luc Choplin a réussi un tour de force : faire entrer au répertoire du Châtelet la fine fleur des comédies musicales américaines dans des productions originales qui allaient par la suite voyager de Londres à Broadway. Ces musiques, ces danses, qui pour certaines ont fait le tour du monde par la voie du cinéma, manquaient au paysage musical et théâtral de Paris. Il les a imposées, elles ont enchanté. Fin 2016, début 2017, le Châtelet, comme son vis-à-vis Le Théâtre de la Ville entreront dans une longue période de travaux et Jean-Luc Choplin tirera sa révérence. Retraite oblige. On espère que son style trouvera un continuateur.

Voici donc Kiss me Kate de Cole Porter, bijou reconstitué et réorchestré. A l’époque de sa création on se préoccupait peu des partitions considérées comme des accessoires. Il a fallu au chef d’orchestre David Charles Abell un véritable travail de détective pour retrouver les manuscrits originaux à l’occasion d’une première résurrection de Kiss me Kate au Glimmerglass Opera de New York en 2008. Celle de Paris a encore été consolidée, peaufinée, ornementée . Du hip du hop, des couplets à l’italienne, un clin d’œil à Stravinsky, du blues et des charlestons… tout y est

Théâtre dans le théâtre, classique revisité. Nous sommes devant, dedans, derrière, la façade du Ford’s Theater, sa salle, sa scène, ses coulisses. Une troupe y répète La Mégère apprivoisée- The Taming of the Shrew - de Shakespeare en version musicale. Les personnages ont trouvé leurs vrais doubles dans la vie des interprètes. Petruchio est joué par Fred Graham toujours amoureux de son ex, Lilli Vanessi, devenue star de cinéma, qui a la charge du rôle de Katherine dont elle possède le caractère récalcitrant. Et Bianca, par la jeune Lois Lane, a comme dans la comédie, un faible pour Bill Calhoun/Lucentio . Deux truands se faisant passer pour des huissiers apportent leur piment burlesque avant de succomber au plaisir de faire les acteurs…

L’astucieux décor de Charles Edwards tourne à la manière de celui du Barbier de Séville actuellement joué à l’Opéra Bastille. Les loges, les vestiaires, l’univers des artistes et des régisseurs, des escaliers, les décors de la pièce jouée et tutti quanti pivotent en pirouettes visuelles.

Les costumes de Brigitte Reiffenstuel ont le parfum de cette mode d’après- guerre que lança Christian Dior avec ses tailles ceinturées, ses jupes virevoltantes sur jupons de tulles. Elles sont irrésistible et Shakespeare n’échappe pas à l’air de ces année-là, il a même droit à une Vespa !

Le metteur en scène Lee Blakeley est chez lui au Châtelet. Il y a signé quelques merveilles (The King and I, tous les Sondheim : Sweeny Todd, A litlle night Music, Into the Woods….en attendant Passion à la mi-mars). On retrouve son humour pince sans rire – le défilé des « miss » Padoue, Venise, Mantoue, le duo des truands Brush up your Shakespeare, façon Laurel et Hardy en constituent quelques sommets - , son sens des cadences serrées, le dynamisme de sa direction d’acteurs.

Et quels acteurs ! On reste une fois encore confondus par la formation de ces acteurs-chanteurs-danseurs anglo-saxons qui savent tout faire : des claquettes et des roulades, des acrobaties vocales et des voltiges des corps en danses chorégraphiées par Nick Winston

David Pittsinger est Fred/Petruchio en nonchalance électrisée, Christine Buffle fonce droit dans les colères de Lilli/Katharine, Bianca/Lois Lane a le look hollywoodien de Francesca Jackson, Alan Burkitt joue les flambeurs en Lucentio/Bill, Martyn Ellis et Daniel Robinson, double pattes et patachon, forment l’irrésistible couple de vauriens.

Un seul regret : le nombre limité de représentations. Le fête s’arrête le 12 février.

Kiss me Kate, musique et lyrics de Cole Porter, livret de Sam et Bella Spewack d’après La Mégère apprivoisée de Shakespeare. Edition critique et direction musicale de David Charles Abell à la tête de l’Orchestre de chambre de Paris et de l’Ensemble instrumental du Châtelet. Mise en scène Lee Blakeley, décors Charles Edwards, costumes Brigitte Reiffenstuel, chorégraphie Nick Winston, lumières Emma Chapman. Avec Christine Buffle, David Pittsinger, Francesca Jackson, Alan Burkitt, Jasmine Roy, Fela Lufadeju, Martyn Ellis, Daniel Robinson, Jack Harrison-Cooper, Thierry Picaut .

Théâtre du Châtelet, les 3, 4, 5, 6, 9, 10, 11, 12 février à 20h, le 6 février à 15h, le 7 à 16h.

01 40 28 28 40 – www.chatelet-theatre.com

Photos Marie-Noëlle Robert

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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